Chapitre 8
Résumé des chapitres précédents : Charlie et Nora sont au théâtre d’Auxerre où passe l’idole de Charlie.
Boris, c'est un clown et c'est tout le monde. Dans les minuscules portraits qu'il campe, sketch après sketch, on ne peut que se reconnaître. Petits travers évoqués en trois gestes ; caricatures féroces et subtiles, d'une admirable brièveté ; regard sans complaisance — mais non dénué de tendresse — sur une société, une époque, des comportements. Le tout dans une ahurissante défroque d'auguste futuriste, mâtinée d'un zeste de Buster Keaton.
Cramponné aux accoudoirs de son fauteuil, Charlie décolle. Une adoration quasi-mystique le transfigure. Il s'abreuve de chaque geste, chaque trouvaille scénique, chaque gag ; un vrai papier buvard. Nora le regarde autant que la scène, plus même. À travers lui, elle absorbe du sortilège. Elle accorde ses rires aux siens, s'émerveille dans son sillage, ombre, écho, ricochet. D'être perçu au travers de son homme transcende le spectacle, en démultiplie l'intérêt. Le rend, au sens propre du terme, charlinesque.
Une fois le rideau baissé :
— J'en ai pris plein la gueule, constate Charlie, amer.
— Pourquoi ? s'étonne Nora, encore dans les étoiles.
— C'est un géant, ce type-là. Jamais je ne lui arriverai à la cheville !
S'il est une chose qui indispose Nora, c'est bien l'autocritique. Surtout de cette nature.
— Arrête de comparer ce qui n’est pas comparable : toi, t'es un homme-orchestre, lui, un mime. Vous ne faites pas le même métier.
— Ce n'est pas la question, s'entête Charlie. Devant un tel talent, on rentre sous terre, point barre.
Haussement d'épaules agacé de Nora.
— Qu'est-ce que tu lui trouves de si extraordinaire ?
Sa mauvaise-foi confine au grand art.
— Tu la boucles, au lieu de dire des conneries ! s'indigne Charlie.
(A suivre)