Chapitre 95
Résumé des chapitres précédents : C’est ça qu’on appelle « un dialogue de sourds » ou je n’y connais rien !
— Enfin, Sylvain, réfléchis, s’énerve Nora. Elle serait comptable ou écrivain, OK, j'applaudirais ton discours à deux mains. Mais elle vend son corps ! Et son corps... (mimique exprimant l'inexprimable) son corps...
Les mots ne sortent pas.
— T'as peur que le micheton se fasse pigeonner, c'est ça ? l’interrompt l’ange. Qu'il n'en ait pas pour son argent ?
Il se marre.
— Rassure-toi, il y a une clientèle pour ce genre de spécialité. Des détraqués, on les appelle. Ils préfèrent les naines, les bossues, les polios, les obèses. Ça fait hurler les bien-pensants — dont, entre parenthèses, il semblerait que tu fasses partie...
Soupir.
— Dans les siècles passés, les cours royales étaient peuplées de "monstres". Les cirques en regorgeaient. Tous les grands de ce monde se targuaient d'avoir au moins une "curiosité" parmi leurs favorites : siamoises, femme-tronc, femme à barbe, phocomèle. Les freacks exhibaient leurs tares et les monayaient sans que nul n'y trouve à redire. Après tout, n'en sommes-nous pas tous là ? Chacun utilise au mieux ce que la nature lui a donné, que ces dons soient dans la norme ou non. Est-ce plus monstrueux d'avoir trois jambes ou une gueule de travers que d'écrire des symphonie à cinq ans, comme Mozart ? (Il se marre à nouveau) Certains critères laissent rêveur : 110 de tour de poitrine, c'est very exciting, 110 de tour de tête, c'est atroce... Pourtant, où est la différence, hein ?
S'emportant, soudain (« Cette faculté de changer d'humeur, de passer sans transition de l'ombre à la lumière a, véritablement, quelque chose de prodigieux », s'effare Nora.) :
— Aujourd'hui, la standardisation à outrance est de rigueur. Les progrès de la médecine ont barré la route aux difformités congénitales. Les idiots de village pourrissent à l'HP, les doux dingues sont bourrés de neuroleptiques. Sous la pression des medias, des industries, de la mode, les critères imposés sont : beauté, jeunesse, minceur ; ne pas s'y conformer, c'est s'exposer au rejet, à la ségrégation. Le rêve d'eugénisme des nazis n'est pas loin...
(A suivre)