Le visage grimaçant du malheur
Quel âge avions-nous, Alex et moi, à cette époque ? Une petite trentaine ? Même pas. Et toute la fougue de la jeunesse...
Un dimanche d’été, nous emmenons nos gamins pique-niquer en forêt, aux environs de Paris. Un petit étang dans les bois, une mousse douillette, des buissons discrets... Après le repas, tandis que Frédéric et Olivier (âgés respectivement de huit et cinq ans) barbotent au bord de l’eau, nous nous offrons un moment de détente qui tourne bientôt à la sieste crapuleuse. De là où nous sommes, personne ne nous voit, surtout pas nos enfants. Nous, en revanche, pouvons les surveiller du coin de l’œil, à travers le feuillage — pour autant que nos ébats nous en laissent le loisir.
Tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes quand, subitement, une voix nous arrache à l’extase toute proche :
— Papa ! Maman ! Olivier se noie !
Alex se rebraguette en deux temps trois mouvements, je me reculotte à la vitesse de l’éclair et nous jaillissons de notre nid d’amour pour récupérer Olivier en larmes, boueux jusqu’aux oreilles et grelottant malgré la chaleur estivale. En chahutant avec son frère, il avait glissé sur le limon de la berge...
Je l’ai emballé dans le plaid de la voiture et on est rentrés chez nous, dégoûtés. Le nuit suivante, Alex et moi n’avons pas fermé l’œil. De peur rétrospective. De remords, n’ayons pas peur des mots. Par la faute de nos sens débridés, nous avions frôlé la catastrophe et entrevu le visage grimaçant du malheur (même si l’eau, à cet endroit, ne dépassait pas cinquante centimètres, NDLA).
Sans blague, c’est des coups à vous rendre frigide et impuissant, ça, pour peu qu’on soit un tantinet sensibles !