L’exorciste
Qui avait fourré dans la tête de ma mère, bigote notoire, que j’étais peut-être possédée par le démon ? L’une de ses sœurs, aussi bigote qu’elle ? Une voisine ? Le curé ? Toujours est-il que l’idée la travaillait.
— Cette enfant est insupportable, se morfondait-elle à tout bout de champ. Elle désobéit, elle ment, elle répond...
Et d’énumérer mes tares une à une : j’étais impertinente, désordonnée, raisonneuse ; je piquais des sous dans son porte-monnaie ; je ne voulais pas manger ma viande ; je me disputais avec mon frère...
— Ce n’est pas normal, concluait-elle. Il faut la faire exorciser !
J’ignorais le sens exact de cette menace, mais elle m’épouvantait. L’exorcisme devait être une chose abominable, une sorte de supplice inquisitorial comparable aux peintures du musée du Cinquantenaire, section Moyen-Âge. On y voyait, sur des retables, les tortures infligées aux suppôts de Satan : la roue, l’écorchement, l’énucléation, les brûlure au fer rouge, l’embobinage d’intestin...
Bref, je vivais dans la terreur, avec cette menace suspendue, telle une épée de Damoclès, au-dessus de ma tête.
Par chance, ma marraine, qui terminait l’école Normale, incita maman à me faire plutôt passer des tests. L’une de ses amies venait d’obtenir son diplôme de psychologue et ne demanderait pas mieux que de lui rendre ce service. Si quelque chose clochait, elle l’en informerait et il serait toujours temps d’aviser.
Cette sage proposition recueillit tous les suffrages — sauf le mien, car la psy m’effrayait presque autant que le bourreau. Mais j’eus beau pleurer, supplier, promettre de devenir irréprochable, rien n’y fit. On me remit entre les griffes d’une jeune femme (au demeurant charmante) qui me posa des questions rigolotes, me fit faire de jolis dessins, des jeux, des bricolages, et au terme de la séance annonça à ma mère :
— Votre fille est parfaitement équilibrée, elle a juste trop d’imagination. Tout le mal vient de là, mais rassurez-vous, ça s’arrangera en grandissant.
Maman se contenta de cette explication, et le spectre de l’exorciste fut définitivement écarté. La science avait vaincu l’obscurantisme