Le petit chat qui chiait du gras
On traîne derrière soi de vieux remords qui reviennent vous hanter les nuits d’insomnie. Cette histoire me poursuit depuis presque un demi-siècle.
Je venais d’arriver à Beyrouth avec mon bébé quand, au cours d’une promenade, je trouve un chaton dans la rue. Tout attendrie, je le ramène chez moi. Mais que sais-je, à l’époque, de la manière d’élever un animal, des soins à lui donner, des choses à ne pas faire ? En dépit de mes supplications, mes parents n’ont jamais voulu de bêtes...
Ça mange quoi, les chatons ? Je n’en ai pas la moindre idée.
La veille, j’ai préparé un gigot, et le fond de la lèche-frite est couvert d’une épaisse couche de graisse figée. A tout hasard, je la lui tends ; il se rue dessus et se met à lécher, lécher... « Ben voilà ! » me dis-je, toute contente, sans réaliser qu’un tel aliment, en grande quantité, est forcément nocif pour un aussi frêle organisme. Résultat : au bout de quelques heures (ou de quelques minutes, je ne me souviens plus), la malheureuse bestiole se met à chier du gras. Ça lui coule du cul en longues traînées molles, comme si la graisse de viande avait traversé son tube digestif sans subir la moindre modification. C’est très impressionnant ! Très inquiétant aussi.
« Il a une maladie, me dis-je stupidement. Genre typhus ou choléra. Et ça peut être dangereux pour mon bébé... »
Me reviennent en mémoire d’horribles histoires de microbes et de vers solitaires racontées par ma mère pour justifier son refus d’avoir un animal. Et je commence à flipper grave. Je suis une inconsciente, une criminelle d’exposer mon fils à de pareils dangers !
Ni une ni deux, je fous le chaton dehors, débrouille-toi pépère, moi, je m’en lave les mains...
Je n’ai jamais su ce qu’il était devenu.