Pataquès
Sur les conseils d’une lectrice, je me suis amusée à répertorier tous mes livres refusés. J’en ai trouvé beaucoup. Au moins la moitié de ma production. Mais le plus joli exemple est très certainement « La Bibliothécaire ».
Au temps où nous « vendions » encore nos manuscrits sur synopsis, un éditeur de chez Pocket, décédé aujourd’hui — et auquel je trouvais une ressemblance frappante avec Georges Moustaki — lance une collection de romans fantastiques pour la jeunesse. Comme, à l’époque, je travaille au Fleuve Noir dont les bureaux se trouvent dans le même bâtiment, il fait tout naturellement appel à moi. Dans les jours qui suivent, je lui apporte le résumé d’une histoire destinée aux 10-13 ans, qu’il lit d’un œil critique avant de déclarer, la mine affligée :
— Ma pauvre Gudule, t’as vraiment rien compris !
Bon, d’accord, mon idée lui déplaît. Je la remets donc dans ma culotte, mais pas pour longtemps. Un mois plus tard, au Salon du Livre de Paris, je croise l’un des plus merveilleux éditeurs qu’il m’ait été donné de rencontrer : Laurent David, directeur du Poche Jeunesse chez Hachette. Il vient de me publier « La vie à reculons » et nous sommes vraiment sur la même longueur d’ondes. Timidement — car son érudition, tout autant que son grand âge et sa haute stature, m’impressionnent un peu —, je lui tends mon synopsis. Il s’arrête dans l’allée, et sans se soucier de la foule, le lit tranquillement. Ô miracle, au fil de sa lecture, je vois petit à petit s’éclairer son visage, et quand il termine :
— Je vous envoie votre contrat lundi, me dit-il dans un sourire.
« La Bibliothécaire » a aujourd’hui largement dépassé le million d’exemplaires, et est traduit dans une dizaine de langues. Le jour où j’ai raconté cette histoire à la directrice actuelle de Pocket, je crois qu’elle a connu un grand moment de solitude.