LÉGION D’HORREUR
— Si on me l’offrait, je pisserais dessus, dit mémé Georgette.
— Si on t’offrait quoi, mémé ?
— La légion d’honneur.
— Pourquoi ?
— Me retrouver à parader avec mon ruban rouge, à côté des comptables véreux et des gestionnaires de fortune retors, merci bien ! On se demande vraiment quel est leur mérite, à ceux-là, pour qu’on les récompense ! Détournement de fonds publics ? Corruption ? Délit d’inité ? Truquage des comptes de l’UMP ou de « l’action de soutien à l’association d’Eric Woerth » (hu hu !) ? Franchement, c’est d’un sordide qui donne envie de vomir !
— T’emballe pas, mémé, tu risques rien. On ne donne jamais la Légion d’honneur aux vieilles dames indignes.
— Heureusement ! Tiens, juste pour le plaisir, tu sais ce que Marcel Aymé a répondu, quand on la lui a proposée ?
— Non.
— Il a écrit une longue lettre au gouvernement, qui se termine par ces mots : Pour ne plus me trouver dans le cas d'avoir à refuser d'aussi désirables faveurs, ce qui me cause nécessairement une grande peine, je les prierais qu'ils voulussent bien, leur Légion d'honneur, se la carrer dans le train, comme aussi leurs plaisirs élyséens. Ça, c’était un mec qui en avait !
— Tu m’étonnes ! Refuser ce genre de décoration, ça ne doit pas être si courant que ça !
— Détrompe-toi ! Tu veux quelques noms au hasard ? Nerval, Daumier, Maupassant, Ravel, Monet, Bernanos, Camus, Prévert, Aragon... Que du beau linge !
— Je comprends que tu préfères leur compagnie à celle des copains d’Eric Woerth, remarque !
— Et qu’en guise de Légion, j’aime mieux, comme Boris Vian, une pâquerette à la boutonnière ! Et même une « fleur de charogne », tiens ! Ça pue nettement moins !