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30 avril 2014 3 30 /04 /avril /2014 07:15

 

 

                              MAI 68 AU JOUR LE JOUR

 

11 mai.

— Trois-cent septante-six blessés, hier, annonce Etienne, en brandissant le journal.

Rose, incrédule :

Non !

— Si.  "La chienlit", comme l'appelle De Gaulle, commence à ressembler à une guerre civile.

 

13 mai.

           — Grève générale. Toute la France est paralysée : plus de transports en commun, les magasins fermés, les administrations, les écoles... Et un million de personne défilant dans les rues aux cris de : « Dix ans, ça suffit ! »

Dix ans de quoi ?

— Ben…de règne du grand Charles, tiens. Faut te tenir au courant, ma vieille. Surtout si tu dois habiter Paris !

Rose reconnaît le bien-fondé de la remarque, mais qu'y faire ? Tante Ida n'a pas la télé, et le "journal parlé" tombe pendant le bain des petits.

—Il te reste la presse, c'est encore la meilleure source d'information. La plus objective, en tout cas.

— Bof, moi, tu sais, les journaux… J'ai pas le réflexe d'aller les acheter.

— Tu veux que je te prête les miens ? Je les ai tous gardés depuis le début. 

Excellente idée : ça me permettra de me faire une opinion.

Et voilà Rose qui se plonge, un peu à retardement, dans le rapport circonstancié des événements. Et y trouve un grand intérêt. On peut même dire que ça la passionne. Elle adhère à fond aux revendications des étudiants et plus encore à celles des ouvriers.

— Il faut changer la société, explique-t-elle à sa tante durant le repas du soir. Faire évoluer les mentalités, balayer les vieux préjugés. Donner les mêmes chances à tous, quelles que soient leurs classes sociales, leurs origines ou leurs revenus.

— Certainement, ma chérie. Mais doit-on pour cela user de violence  ?

En dernier recours, je suppose que oui.

Et de ressortir pêle-mêle les arguments — pas toujours très clairs ni très structurés (quand ils ne sont pas contradictoires ) — développés par les journalistes.

Tante Ida l'écoute sans l'interrompre, un sourire indulgent aux lèvres. Le même, exactement, que quand Grégoire baragouine ses petites bêtises d'enfant. Et Lorsque Rose se tait :

— Il faut bien que jeunesse se passe, conclut-elle doucement.

 

16 mai

— C'est la foire d’empoigne, habibté. Pire qu'à Beyrouth ! Je suis bien content que tu sois à l'abri avec les enfants parce que, comme c'est parti, on ne sait pas jusqu'où ça peut aller.

Rose, la gorge serrée :

Ne reste pas là-bas. Viens ici !

— Je ne peux pas, il n'y a plus de trains. Paris est coupé du reste du monde. Les manifestants ont pris l'Odéon d'assaut, tu te rends compte ? Et toute la nuit, ils se sont battus dans les rues. Tu verrais le chantier ! Ils démolissent les trottoirs pour jeter les pavés sur les C.R.S…

Sur les quoi ?

            — Les C.R.S., des brigades spéciales créées pour l'occasion. Des espèces de robots futuristes bardés de fer, avec casque, matraque, bouclier. Ça gueulait tellement fort, cet après-midi, sur le boulevard de Belleville, qu'on entendait le bruit malgré la musique et les fenêtres fermées. Du coup, on est descendus voir.

Mais… vous êtes fous ? C'est très dangereux.

— T'inquiète, Gaby et moi sommes restés en retrait. Les deux autres, par contre, se sont mêlés à la foule. Ils sont français, eux ; ils se sentent concernés.

Il n'y a pas eu de blessés ?

—Laurent s'est pris un coup de matraque, il a fallu l'emmener à l'hôpital, pour une radio. Il n'avait rien de cassé, je te rassure tout de suite. Juste une grosse bosse et un cocard. Les répétitions continuent normalement.

— Promets-moi que tu ne sortiras plus.  Je vais mourir de trouille, moi, si je sais que t'exposes.

— N'aie crainte, ma chérie, je serai raisonnable… Et toi, de ton côté, veille bien sur les petits.

 

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commentaires

P
...Sous les pavés, la plage, et la rage.<br /> <br /> J'aime découvrir à retardement, quelques années après Rose ce qu'à pu être cette révolution vécue de l'intérieur.
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