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27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 06:55

Daniel, Danièle

  Démarrer dans la profession d’auteur pour la jeunesse n’est pas chose aisée. En vivre, encore moins. Heureusement, dans les années quatre-vingts, des instances officielles soutenaient les débutants, en particulier le ministère de la jeunesse et des sports qui, tous les ans, dotait généreusement un roman inédit.

         — Tu devrais présenter un manuscrit, m’avait conseillé un ami écrivain, lui-même lauréat quelques années plus tôt.

         Pourquoi pas ? À condition de trouver une idée originale, bien sûr...  Mais laquelle ?  

         La vie m’offrit sur un plateau un sujet selon mon cœur.

         A cette époque, j’avais une amie transsexuelle qui, comme c’est parfois le cas, avait une curieuse allure. Ni tout à fait femme, ni tout à fait homme, elle affrontait quotidiennement le regard de ses contemporains, dont la palette allait de l’ironie au mépris, voire à une franche hostilité. Ma fille Mélanie, alors âgée de sept ans, l’adorait, si bien que j’avais fini par l’embaucher comme baby-sitter. Les mercredis après-midi, pendant que j’étais au bureau, elles se baladaient au bois de Vincennes, musardaient sur les grands boulevards, faisaient du shopping ou allaient au cinéma, et Mélanie rentrait toujours enchantée de ces escapades. Elles étaient si complices que ma fille avait pris l’habitude de l’appeler « maman » en public, ce qui closait le bec aux préjugés et donnait à Danièle l’illusion d’être enfin une « vraie » femme. La maternité, c’est le label de féminité par excellence, non ?

         Sur cette relation que je trouvais adorable, je brodai un petit roman à ma manière, où se côtoyaient l’humour, le suspense et l’émotion, puis, très contente de moi, j’envoyai mon œuvre à qui de droit.

         Le résultat fut proclamé quelques mois plus tard, au cours du salon de Montreuil. Le cœur battant, je m’y rendis.

         Or, non seulement « Daniel, Danièle » ne fut pas retenu, mais après avoir remis les prix, le président du jury annonça qu’il avait une déclaration à faire. En substance, il souhaitait que « les candidats qui seraient tentés d’envoyer des textes scabreux, mettant en scène des travestis ou des maniaques sexuels, veuillent bien s’en abstenir ».

         — Je vous rappelle que ce prix est destiné à promouvoir une œuvre littéraire de qualité, non à faire l’apologie des déviances, conclut-il, sous les applaudissement.

         Certes, il ne m’avait pas regardée, en disant ça, puisque les envois était anonyme. Mais comme j’avais piqué le fard de ma vie, j’eus le sentiment que toute la salle se tournait vers moi, et qu’on me montrait du doigt en chuchotant : « C’est elle, la salope qui pervertit notre belle jeunesse ! »

         J’ai eu du mal à m’en remettre, et « Daniel, Danièle » est resté dans mes cartons. Il y est toujours. M’exposer à un autre camouflet aurait été au-dessus de mes forces ! 

 

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26 décembre 2011 1 26 /12 /décembre /2011 07:37

Le nounours de la honte

  Enfant, j'habitais Bruxelles avec mes parents, mais je passais toutes mes vacances chez Tantine, la sœur de ma mère, qui vivait au Thier-à-Liège, une petite commune rurale sur les hauteurs de Liège. J’adorais cet endroit où je courais les champs du matin au soir avec mes copains.

         Ma meilleure amie s'appelait Ginette. Elle était très jalouse de mon statut de "citadine", mais ce qu'elle m'enviait surtout, c'était Chantal.

            Chantal était une poupée en "biscuit" comme on en fabriquait dans les années cinquante. Elle fermait les yeux et disant « maman » quand on l'inclinait. Mes parents s'étaient fendus pour m'offrir cette merveille, à la Saint-Nicolas précédente. Ma mère lui avait confectionné une somptueuse panoplie de robes et de manteaux que je rangeais dans une petite garde-robe rose, sur de minuscules ceintres bricolés par mon père.

            Or, Ginette voulait Chantal. Elle ne pensait qu'à ça, ne parlait que de ça, littéralement obsédée par ce désir intense.

            Un jour, elle me proposa un troc : n'importe lequel de ses jouets contre ma poupée.

         — Tu peux même les avoir tous ! insista-t-elle.

         Je refusai avec indignation.  Alors, un plan machiavélique germa dans son esprit. Elle possédait un vieux nounours  tout pelé, informe et déteint, auquel il manquait une oreille et dont les yeux absents avaient été remplacés par des boutons de culotte. Il s'appelait Jopi, et son aspect misérable m'attendrissait depuis toujours. Elle m'annonça qu'elle allait le donner à son frère Jacques.

            Jacques, c'était mon ennemi personnel. Un grand d'au moins dix ans qui possédait une carabine à plomb et tirait sur tout ce qui bougeait. En particulier les oiseaux...

            — Jopi lui servira de cible, pour s'exercer, précisa-t-elle méchamment.

            Je protestai de toute mon âme, mais en vain.

            — Si tu veux le sauver, tu n'as qu'à me l'échanger contre Chantal, se contenta-t-elle de me répondre.

            Je résistai durant un jour et une nuit, mais cette dernière fut peuplée d'épouvantables cauchemars. La culpabilité, sûrement. La conscience aiguë de mon égoïsme meurtrier... Au matin, je courus offrir à Ginette ma belle poupée avec sa garde-robe au grand complet, et repartis en serrant le rescapé sur mon coeur.

            Tantine ne fut pas longue à s'apercevoir de l'affaire, et je peux vous dire que ça a bardé ! Elle m'entraîna illico chez Ginette pour annuler la transaction. En larmes, je dus abandonner le pauvre nounours à son triste sort.

            Ginette, pour se venger, donna effectivement Jopi à son frère. Devant mes supplications, ce dernier, bon prince, accepta de l'épargner en échange... d'un baiser.

             Un baiser ! Au tueur de petits oiseaux !  L’idée, tout d’abord, me révulsa. Je la repoussai avec horreur. Mais devant le péril encourru par mon petit protégé, telles ces mères héroïques s’offrant au bourreau pour sauver leur progéniture, je finis par céder. C'est, je le jure, le seul chasseur que j'aie jamais embrassé de ma vie. 

            Chantal a disparu depuis bien des années, ainsi que tous mes autres jouets. J'ignore ce que Ginette et Jacques sont devenus. Mais j'ai toujours Jopi. On ne se quittera sans doute jamais, lui et moi. Il m'a coûté trop cher !  

 


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25 décembre 2011 7 25 /12 /décembre /2011 08:23

La chambre maudite

À l’occasion du prix décerné à l’un de mes livres par les écoliers de la région, j’étais invitée dans une petite ville de Normandie. Contrairement à ce qui se fait d'habitude, les organisateurs ne m'avaient pas réservé de chambre d'hôtel : Liliane B., la bibliothécaire, possédait une immense maison et ne demandait qu'à m'héberger.

         D'ordinaire, lorsqu'on me propose de loger chez l'habitant, je tire la tronche. Après une journée de représentation devant ces chères têtes blondes, le soir, je n'ai qu'une envie : être seule et me taire. Mais cette fois, c'est différent : Liliane et son mari me sont très sympathiques et ont, de surcroît, une petite fille adorable et une chienne qui ne l'est pas moins. Soirée agréable, donc. Nous bavardons devant un feu de bois en buvant du ti punch, puis chacun se couche. Très tard.

         La chambre d'amis que l'on met à ma disposition est dans une aile isolée du bâtiment. Elle est divisée en deux par un rideau. D'un côté, le lit de la belle-mère, absente pour quelques jours, recouvert d'un grand châle en dentelle blanche, de l'autre, celui destiné aux invités de passage — le mien.

         Au milieu de la nuit, une furieuse envie de pisser me réveille. Et là, big problème : où sont les toilettes ? Liliane me les a pourtant montrées hier soir...  J'entrouvre ma porte et la referme aussitôt, désorientée par ce palier et ces escaliers que je ne connais pas, les grands couloirs glacés de cette vieille demeure où je suis sûre de me paumer. D'ailleurs, je ne sais même pas où se trouve le bouton électrique.

         Je me recouche, essayant vainement de faire le vide dans mon esprit et de me rendormir. Impossible, avec cette vessie pleine à craquer... 

         Soudain, idée ! Près du lit de la belle-mère, il y a un lavabo. Et sous ce lavabo, il me semble avoir aperçu une sorte de cache-pot. A la lueur de ma lampe de chevet, je vais vérifier. Le rideau atténue la lumière, plongeant ce côté de la grande pièce dans la pénombre. Cela ne m'empêche pas de repérer le providentiel récipient. À tâtons, je l'extirpe de son rabicoin, m'accroupis dessus et me soulage avec une joie intense.

         Soudain, horreur ! je sens un liquide chaud se répandre sur mes pieds nus. Le cache-pot est percé de multiples troutrous que je n'avais pas remarqués. Sur le parquet ciré s'étale une mare gigantesque.

         Paniquée, je tâte autour de moi. Les dégâts sont encore pire que ce que je redoutais. La pièce ayant une légère pente, le pipi coule sous le lit de la belle-mère. Les franges de châle sont déjà imbibées, et l'humidité remonte sur cinq centimètres au moins. En plus, ça sent...

         Que faire ? Je cherche avec affolement quelque chose, n'importe quoi, pour éponger. J'ai une jolie écharpe orientale, cadeau de mon fils aîné pour mon anniversaire ; elle va me servir de serpillière. J'essuie, je tords dans le lavabo, j'essuie, je tords, j'essuie, je tords. Mais l'écharpe est trop neuve pour absorber correctement l’urine, inutile d'espérer sécher le sol. Après moult efforts, je finis par renoncer et laisse tout en plan pour me refourrer frileusement sous ma couette où, tout honte bue, je me rendors.

         Le lendemain, j'ai quitté au plus tôt cette chambre maudite, espérant que mes hôtes n'y mettraient pas les pieds avant plusieurs jours. D'ici là, l'odeur aurait peut-être eu le temps de s'évaporer.

         À moins qu'ils ne soupçonnent la chienne ?

         Pauvre bête, tu me dois peut-être une injuste correction ! La vie est mal faite.

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24 décembre 2011 6 24 /12 /décembre /2011 06:53

Les abréviations dangereuses

  Toujours à Gerardmer où, décidément, je n'en ai pas raté une. Étant invitée d'honneur, j'avais droit à un badge bleu — faveur réservée à une poignée de VIP, qui donnait accès à tous les films (les journalistes et autre menu fretin n'avaient droit qu'au badge jaune, limité à certaines salles, et le public payait sa place). Comme Jacques Chambon jouissait du même privilège, nous allions partout ensemble, ce qui m'arrangeait bien : je suis assez distraite et me perds facilement dans les lieux inconnus.

         Or donc, après la remise du prix dont j'ai parlé plus haut, un peu assommée par la honte autant que par la richesse du repas, arrosé au champagne, j'étais rentrée à mon hôtel faire une petite sieste. Jacques, fanatique de rugby, avait également regagné sa chambre pour regarder un match à la télé, et nous nous étions donné rendez-vous deux heures plus tard, afin d'aller voir le clou du festival : le dernier Carpenter.

         À l'heure dite, comme prévu, je me pointe chez lui ;  personne. Je retourne dans ma chambre, attendant une visite, un coup de fil, un signe, n'importe quoi... Rien ne vient. Au bout d'un moment, je me dis :

         « C'est trop bête, je vais rater le début du film. »

         Prenant mon courage à deux mains, je décide donc de m'y rendre seule. Après avoir fait trois fois le tour de la ville (heureusement minuscule), je finis par trouver la bonne salle. Il y avait foule. Logique. Et des vigiles pour la canaliser, logique aussi. Je fais docilemement la queue et, lorsqu'arrive mon tour d'entrer, les vigiles me dévisagent avec suspicion.

         — Où avez-vous eu ce badge ? me demande l'un d'eux.

         Vu ma dégaine, il devait penser que je l'avais piqué. Alors moi, avec tout l'aplomb dont j'étais capable :

         — Je suis VRP !

         Plié, le mec.

         J'ai été refoulée aussi sec, et j'ai terminé dans la petite salle paroissiale qui projetait des courts métrages d'amateurs et était, elle, ouverte à tout le monde, même aux péquenauds dans mon genre...

 

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23 décembre 2011 5 23 /12 /décembre /2011 07:38

Les moonboots

   En 1995, l'un de mes livres, Le chien qui rit, recueil de nouvelles paru chez Denoël, obtient le prix littéraire du festival Fantastic'arts  de Gerardmer. C'était la première années où ce festival du film fantastique couronnait également une œuvre littéraire. Afin de recevoir dignement mon prix, j'étais donc invitée, durant les cinq jours que durait de la manifestation, dans cette petite station de ski des Vosges, en plein hiver. Mon éditeur, Jacques Chambon, m'accompagnait (ou plutôt, c'était moi qui l'accompagnais, car il assistait chaque année au festival, tandis que pour moi, c'était une grande première).

         J’ai toujours aimé voyager léger — c’est-à-dire avec le minimum de bagage : un slip de rechange dans une poche et une paire de chaussettes dans l’autre.

         « Dans une station de ski, me dis-je, avec une logique qui me semblait imparable, on porte des après-ski ».

          J'avais acheté, quelques années auparavant, une paire de moonboots qui ressemblaient à s'y méprendre à celles portées par Tintin dans On a marché sur la lune  — sauf que les miennes étaient écrues avec des rayures de toutes les couleurs, genre torchon à vaisselle (c'est-à-dire horriblement démodées). Je les enfilai donc, ainsi qu’un jean, un pull à col roulé et une doudoune. Pour me rendre d'une salle de cinéma à l'autre, cela me paraissait la tenue adéquate. 

         Hélas, c'était compter sans la réception prévue par Denoël pour la remise du prix !

         Je vous laisse imaginer ma tête quand je me suis retrouvée, accoutrée de la sorte, dans le restaurant le plus chic de Gerardmer, face au jury qui avait élu mon livre et se composait d'une Régine Deforges en robe du soir, d'un Didier Van Cauwelaert, d'un Jean-Jacques Pauvert, d'un François Nourissier, etc, en costard-cravate, et d’une assemblée triée sur le volet...

         C'est donc le rouge au front que j'ai reçu, sous les applaudissements polis des invités, une somptueuse gerbe de fleurs des mains de Régine Deforges (qui devait sincèrement se demander à quel genre d'extraterrestre elle avait affaire). Après avoir baragouiné d’inaudibles remerciements — au lieu du petit discours réglementaire, que j’avais pourtant soigneusement préparé —, j’ai couru me planquer derrière mon assiette, suivie par le regard goguenard de Jacques Chambon qui, depuis longtemps, ne se faisait plus d'illusions sur moi.

         J'étais si perturbée que j'ai oublié ma gerbe sur un guéridon, à la fin du repas !

 

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22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 07:55

 Des petits cris dans la nuit

   Nouvel-an 1978. En ce temps-là, nous vivions, Alex et moi, dans un pavillon de banlieue avec nos trois enfants dont la plus jeune, Mélanie, avait tout juste un an. Michel P., un copain dessinateur, était venu passer le réveillon avec nous, en compagnie d'une  créature de rêve qu'il avait levée pour l'occasion. Vers trois heures du matin, on se couche, un peu pétés, nous à l’étage, dans notre chambre jouxtant celle du bébé, et Michel avec sa belle au rez-de-chaussée, sur le clic-clac du salon.

         Je m'endors. Soudain, après un temps impossible à évaluer, des petits cris me réveillent. Je pense : « C'est Mélanie ! » et, dans un demi-sommeil, je me lève comme un zombie pour aller voir ce qui se passe. Dans le noir, je précise. Arrivée devant la porte de sa chambre, je me rends compte que le bruit ne vient pas de là mais d'en bas. Un raisonnement immédiat se déroule dans mon cerveau embrumé : nous sommes sûrement le matin, et mes fils, qui ont repectivement onze et quatorze ans, ont dû venir chercher leur petite sœur pour qu'elle me laisse dormir. Ils sont dans la cuisine avec elle, en train de lui préparer un biberon, les braves cœurs !

         Tout attendrie, je me rue dans l'escalier en criant à pleine voix :

         — Attendez-moi, j'arriiiiive ! 

         Au même moment, réveillée, en quelque sorte, par ma propre voix, je réalise que, premièrement, il fait encore nuit, deuxièmement, il n'y a personne dans la cuisine, et troisièmement, les petits cris qui proviennent du salon ne sont ab-so-lu-ment pas ceux d'un bébé.

         Un grand froid m'envahit, d'autant que le bruit s'est arrêté net. Après un instant de panique horrible, je regagne quatre à quatre le lit conjugal, non sans avoir constaté, au passage, que Mélanie dormait paisiblement dans son berceau.

         Il n'a été question de rien, le lendemain matin. Michel et sa compagne ont fait montre d'une remarquable discrétion quant à ma performance nocturne et aux possibles espoirs qu'elle avait pu faire naître chez eux. A moins que, trop occupés, ils n'aient rien entendu et que l'arrêt des cris ne soit qu'une simple coïncidence... 

         Je l'ignorerai toujours. Mais je peux bien avouer que devant mon crème-croissants, je n'étais pas fière, le premier janvier !


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21 décembre 2011 3 21 /12 /décembre /2011 11:28

 Un vieux compagnon.

  1986, j’entre comme pigiste dans une revue "tendance" dont le rédacteur en chef me demande, comme premier travail, un reportage sur les diverses manières dont les grands journalistes sont entrés à Libé. Le sujet me plaît. Des petites anecdotes fendardes, c'est tout à fait dans mes cordes. Je prends donc contact avec M.B., directeur adjoint du quotidien, afin qu’il m’aiguille dans mes recherches. Or — grave handicap pour une journaliste —, je suis d’une nature timide et réservée. Autant écrire me plaît, autant interroger les gens m'angoisse. Surtout lorsqu'il s'agit d'un vieux routard comme M.B., qui connaît par cœur toutes les ficelles du métier. C'est aussi traumatisant que de faire, je ne sais pas, moi, du footing devant Zatopek ! Mais bon, je n’ai pas le choix. Surmontant mes appréhensions, je me prépare à passer cette épreuve dans les meilleures conditions possibles.

         En général, pour mes interviews, je n'utilise pas de magnéto, me contentant de prendre des notes, à l'ancienne. Tous ceux qui me connaissent savent que j’entretiens  — second handicap, et de taille ! — un très mauvais rapport avec les p'tits boutons. Utiliser correctement un lecteur de DVD ou un robot-marie est une performance au-dessus de mes forces, et il m’a fallu des années de pathétiques tentatives avant de savoir me servir de mon Mac. Mais cette fois, je sens qu'il faut que je déroge à mes habitudes. Intimidée comme je le serai, je risque de me planter dans mes notes ; mieux vaut enregistrer.

         Le problème, c'est que je n’ai pas d’enregistreur. Je m'ouvre de mon problème au correcteur de la boîte, Alain, qui est très serviable et pédé de surcroît. Il me répond :

         — T'inquiète pas, ma grande, j'ai ce qu'il te faut !

         Et il sort on ne sait d'où un mini-cassette antédiluvien, une vraie antiquité, plus proche du mange-disque que du dictaphone.

         — Tu n'auras aucune difficulté à le manipuler, m'explique-t-il en me tendant l'engin. Tu vois, il n'y a que quatre bouton : marche/arrêt, écoute, avance, retour. C'est à la portée d'un enfant de cinq ans.

         C'est. Mais tout de même, je préfère faire un essai, des fois que. Saisissant le micro (lui aussi d'une ringardise assez sidérante), je le présente à l'intéressé tout en demandant, très pro :         

— Voulez-vous dire quelques mots pour la postérité, cher monsieur ?

          Et lui, du tac au tac :

         — Est-ce que je peux vous enculer, mademoiselle ?

         On rigole bien, on réécoute, ça marche, bravo Gudule, je rembobine (pas tout à fait à fond pour éviter que ça se coince) puis, l'âme en paix, je passe à autre chose.

         Le lendemain, je me rends à Libé, dans mes petits souliers. M.B. me reçoit très aimablement, et propose :

         — Si nous allions discuter devant un verre ? C'est plus convivial que dans mon bureau ! 

         Oui-da. Nous descendons à la brasserie du coin, pleine de monde à cette heure matinale, nous nous installons dans un coin tranquille et je sors le magnéto de mon sac. En l'apercevant, M.B. me lance un regard ironique. Avec un petit rire qui se veut complice et n'est destiné qu'à masquer ma gêne, je frime :

 — Oui, je sais, il n'est plus de toute première jeunesse... Mais que voulez-vous, c'est un vieux compagnon, hu hu hu !

          Puis je mets la "bête" en route, et l’inévitable se produit : je me trompe de bouton.        

         — Est-ce que je peux vous enculer, mademoiselle ?  clame la voix d’Alain, au volume maximum.         

 Dans le silence sidéré qui suit ce coup d’éclat, M.B. hoche la tête et remarque :

         — Effectivement, c'est un vieux compagnon ! 

         J'ai mis huit jours à m'en remettre.

         L'interview s’est déroulée comme prévu — mais uniquement au stylo et carnet. Et j'ai eu un mal fou à me relire, tellement ma main tremblait. Quant à Alain, que je me suis empressée de mettre au courant de l'incident, je crois qu'il en rit encore !

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20 décembre 2011 2 20 /12 /décembre /2011 07:24

LA NOIX DE LA DISCORDE

 J'ai fait mes classes primaires dans une école catholique très sélect. (Bien que fille de modestes commerçants, j'ai TOUJOURS été dans des écoles catholiques très sélect : nos études, à mes frères et moi, c'était le snobisme de nos parents). Dans cette école catholique très sélect, donc, les élèves avaient, à dix heures, des avantages que moi, je n'avais pas, et en particulier du lait en petites bouteilles qui me faisait saliver d'envie. Ce lait était vendu la peau des fesses par les sœurs, et si mes parents ne rechignaient pas à payer le minerval, ils me refusaient, en revanche, les "à côtés" — que, d'ailleurs, consciente très tôt des sacrifices qu'ils s'imposaient pour mon éducation, je ne songeais même pas à leur demander.

         En plus du lait, à la saison des noix, il y avait... les noix. Celles-ci n'étaient pas distribuées par les sœurs, mais apportées par les élèves elle-mêmes. Or, j'adorais les noix. Mais comme elles coûtaient cher, maman n'en achetait pas — ou seulement dans les grandes occasions, genre Saint Nicolas. Pas question que j'en mange à la récréation.

         Je regardais avec convoitise mes copines casser la coquille du talon, sortir le petit fruit marron, retirer sa fine peau et enfourner avec délice le produit de ce travail minutieux : la chair blanche et craquante, au goût succulent. Pas une, bien sûr, ne songeait à m'en offrir...

         Un jour d’automne, je vais aux toilettes, et dans le WC, qu'est-ce que je vois flotter ? Une noix.

         Comme tous les enfants, j'étais profondément dégoûtée par tout ce qui touchait aux excréments. Mais, premièrement, l’eau de la cuvette était limpide, et deuxièmement, j'avais beau n'avoir que six ou sept ans, je savais que la coquille des noix est hermétique et ne laisse rien passer de "sale". Et puis, surtout, ce fruit exquis, là, à portée de main...

         Je n'ai pas hésité très longtemps. J'ai plongé les doigts dans le WC, j'ai pris la noix, puis, l’ayant rincée au robinet et  soigneusement essuyée, j'ai surgi dans la cour en brandissant mon trophée.

         — D'où elle vient, cette noix ? m'a demandé une copine, méfiante.

         Et moi, avec toute la conviction dont j'étais capable :

         — C'est ma mère qui me l'a donnée !

         — Même pas vrai, a crié une petite fille blonde, Maryse, qui me détestait cordialement. Elle l'a ramassée dans les toilettes ! C'est celle que j'avais fait tomber dans le pipi !

         Je ne me souviens pas si j'ai mangé la noix ou non, mais ce dont je me rappelle clairement, ce sont les chuchotis horrifié de toute la classe, et les huées qui ont suivi. J'en frissonne encore !

          

          

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19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 10:29

Crotte de chien

         Au début des années soixante-dix, mon mari de l’époque — appelons-le Alex — s’était lancé à corps perdu dans la BD. Son idole du moment était le dessinateur M., alors au faîte de sa gloire. Outre un indéniable talent qui faisait de lui l’une des vedettes du neuvième art, M. dirigeait un magazine dans lequel Alex rêvait d’être publié. Les bouclages ayant lieu chez lui, M., après moult sollicitations, avait autorisé ce débutant, frais émoulu de son Liban natal, à y assister.

         Nous étions jeunes, en ce temps-là. Amoureux — pour ne pas dire fusionnels — et peu au courant des usages en vigueur dans les milieux artistiques parisiens. Avec une candeur qui, aujourd’hui, me laisse pantoise, nous nous pointons tous deux au rendez-vous. Pas une seconde, l'idée ne nous avait effleurés que ma présence pouvait déranger !

         Tout excités, nous sonnons à la porte d’un magnifique appartement Hausmann. M. vient ouvrir, fait entrer Alex, puis prend conscience de ma présence.

         — Qu'est-ce que tu fais là ? interroge-t-il, comme s’il s’adressait à une crotte de chien, posée par inadvertance sur son paillasson.

         — Ben... je viens à la réunion.

         — Tu n'étais pas convoquée !

         Suffoquée par la douche glacée, je tente de plaisanter:

         — Oh, tu sais, Alex et moi, on est du genre chaussettes : on marche toujours par paire.

         Durant quelques instants, nous nous défions du regard, puis il  pousse un profond soupir. 

         — Puisque tu es là, entre... Mais la prochaine fois, tu resteras chez toi : c’est une séance de travail, pas une réunion Tupperware ! 

         Fallait-il que je sois gourde pour ne pas lui en retourner une ! Au lieu de ça, j'ai fait profil bas, et j'ai passé le restant de l'après-midi à ravaler mon humiliation. À tel point que vingt ans plus tard, cet épisode s'est retrouvé dans mon livre Du moment que ce n’est pas sexuel, dont il est l'une des scènes-clé. Dès sa parution, je me suis fait un plaisir de l'envoyer à M., perdu de vue depuis de nombreusees années, avec cette dédicace : Devine qui m'a servi de modèle pour le personnage de Boris ? Il ne m'a jamais répondu. 

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18 décembre 2011 7 18 /12 /décembre /2011 19:30

       J'inaugure aujourd'hui une nouvelle rubrique. Les petites histoires que je vais vous raconter, au fil des jours, sont autobiographiques. Du vécu pur jus, comme on dit. Des souvenirs rédigés à la "va comme j'te pousse", mais pas n’importe lesquels : les événements en apparence anodins qui, lorsqu’ils ont eu lieu, m’ont tellement fait honte que j’en rougis encore. Mes « grands moments de solitude », ce sont ces instants d’humiliation, de désarroi glacé, de ridicule-qui-tue que nous connaissons tous un jour ou l’autre, et dont notre égo garde les cicatrices. Pour vous, je les ai extirpés du fond de ma mémoire où il étaient enfouis dans un confortable oubli. Les voici en vrac, livrés sans ordre chronologique ni embellissement d’aucune sorte. Ma seule ambition est qu’ils vous amusent et suscitent, chez vous, des souvenirs du même ordre, afin qu’à votre tour vous puissiez rire de vos bévues, de vos déboires... et de vous-même ! Rire de soi, n’est-ce pas le meilleur antidote aux mille et une vacheries de l’existence ?  

Alors, rendez-vous très vite pour notre premier "grand moment de solitude" ? 

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