Chapitre 94
Résumé des chapitres précédents : Le chauve est un client. De Lulu, eh oui. Si ça, ce n’est pas le fond de l’abjection, ça y ressemble bien. Nora essaie en vain de l’expliquer à l’ange, toujours aussi serein malgré les circonstances.
— Eh ben dis donc, t'as un sacré paquet de préjugés, dans ta p'tite caboche, constate Sylvain tristement. Tu fais partie de ceux qui pensent que le plaisir est réservé aux gens beaux, jeunes et en bonne santé, c'est ça ? Qui excluent de la fête tout ce qui ne rentre pas dans le moule ?
— Tu sais bien que non, mais y a des limites !
— Lesquelle ?
— Le... (elle cherche un mot qui traduise sa pensée et, ne le trouvant pas, prend le premier qui passe à sa portée)... le ridicule.
Il hoche la tête.
— Le ridicule...
On dirait qu'il va pleurer.
— Le ridicule... Tout ce qui n'est pas convenable est ridicule, tu as raison. Les vieux qui baisent, les estropiés qui dansent, les muets qui chantent, les handicapés qui jouissent, c'est ridicule — et même répugnant, n'est-ce pas ?
Il hausse le ton, devient un archange de foudre et de fureur.
— Euthanasie sexuelle pour tout ce qui a plus de cinquante ans et dépasse les quatre-vingts kilos ! Quant aux mal foutus, éclopés, flingués de la tête et déglingués de toute sorte, une bonne castration ne peut pas leur faire de mal, au point où ils en sont.
Nora, livide :
— C'est pas ça, mais...
— Mais... Ah, que j'aime ce mais ! Le mais de la dictature morale, de l'intransigeance, du redoutable « politiquement correct ». Lulu, au nom de ce « mais », tu lui dénies le droit de gagner sa vie, d'exercer sa profession. Sous prétexte qu'elle est paraplégique, tu veux en faire une assistée, n'ayant plus le droit, en somme, que de se laisser nourrir et de fermer sa gueule. Belle mentalité !
(A suivre)