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8 août 2014 5 08 /08 /août /2014 22:06

                             Je suis comme une pluie qui goutte

(Toutes mes excuses à feu Claude Duneton pour le détournement de son titre, mais je n’ai pas pu résister)

 

Quand, vers douze ans, quelques poils frisottants firent leur apparition sur mon pubis, d’horribles soupçons m’assaillirent. Les autres filles de mon âge présentaient-elles les mêmes symptômes ? Ou étais-je la seule à être affectée de cette pilosité particulièrement mal placée ?  

L’époque étant à la pudeur extrême, nulle information ne vint éclairer ma lanterne. Avec ma mère, on ne parlait jamais de « ces choses-là, » (comprendre : « ce qui se situait sous la ceinture »), avec les copines non plus (nous avions dépassé l’âge du touche-pipi). Le dictionnaire familial n’y faisait aucune allusion, et ni Victor Hugo, ni Jules Verne, ni James Oliver Curwood  (mes auteurs favoris) n’abordaient la question dans leurs livres.

Puis sortit le film de Jacques Baratier, Dragées au poivre, et, comme toute ma classe l’avait adoré, je pris prétexte d’une révision chez une amie pour aller le voir en cachette. Alors là… alors là ! Paf, sans préambule, une scène de strip-tease, et un petit minou noir dans l’échancrure d’un porte-jarretelles ! On m’aurait montré le Bon dieu en personne, que je n’aurais pas été plus heureuse. Ainsi, j’étais donc normale ? Même les stars de cinéma avaient de la fourrure à cet endroit. En plus, elles l’exhibaient devant les caméras. Ce n’était donc pas honteux., mais plutôt excitant, à ce que je crus comprendre.

             C’est depuis ce temps-là que je suis cinéphile.

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7 août 2014 4 07 /08 /août /2014 21:48

                                                 Gigot, t’es cuit !

 

Olivier était l’adolescent le plus cool de la terre — enfin, à la maison. En classe, c’était une autre paire de manche. Il avait un problème avec l’autorité. Que dis-je, un problème ? Un véritable contentieux ; un rejet viscéral, une insurmontable aversion. Bref, en un mot comme en cent, mon fils était « autoritophobique ». Souffrant pour ma part, d’un syndrome similaire, je ne pouvais décemment pas le lui reprocher. Mais bon, c’était un fait  indéniable : mon délicieux fiston devenait incontrôlable sitôt franchi le seuil du collège.

         Ce double visage —  dont je mis longtemps à prendre conscience —, m’apparut dans toute sa complexité,  le jour où le directeur, M. Gigot,  nous convoqua, Alex et moi.

            — Votre fils, s’est rendu coupable  à mon encontre d’un acte de vandalisme de nature insultante, nous annonça-t-il tout de (gi)go. J’espère que vous prendrez les mesures qui s’imposent.

Et, ni une, ni deux,  il nous entraîna devant le mur du C.D.I. que recouvrait un grand drap blanc, destiné à masquer ce qu’il y avait dessous.  

          Et, dessous, qu’y avait-il ? Je vous le donne en mille.

Une fresque.

Dessinée par Olivier.

Que d’un geste solennel notre mentor dévoila, comme on dévoile une œuvre d’art dans une galerie.

Nous en eûmes, force m’est de l’avouer, le souffle coupé, non par la beauté de l’œuvre en question, mais par l’audace de son sujet.        

         « Que représentait-elle donc, cette fameuse fresque ? » vous demandez-vous sûrement.

         Un couple, ni plus ni moins ;  un couple très tendre. M. Gigot, reconnaissable à sa grosse barbe noire, en train de sodomiser le surveillant général, petit maigrichon chauve aux dents proéminentes.

         En guise de signature, une écriture que nous connaissions bien avait soigneusement calligraphié ces mots : « Gigot, t’es cuit ! »

         Aussi incongru que cela paraisse, nous éclatâmes de rire.

         Le directeur nous foudroya du regard.

— Ça vous amuse ? lâcha-t-il, glacial. Eh bien, je ne vous félicite pas.

         A l’évidence, il s’attendait à tout sauf à cette réaction.

— Olivier est doué pour la caricature, enchaîna placidement Alex. On devrait peut-être l’inscrire aux Beaux-Arts. Qu’en penses-tu, chérie ?  

         J’approuvai  d’un hochement de tête. Notre interlocuteur, qui nous examinait en alternance à travers ses lunettes de myopie, finit par demander :

— Quelle profession exercez-vous, monsieur ?

 — Dessinateur de BD, répondit Alex, avant d’ajouter (avec une évidente jubilation) :

— …  au journal Hara-kiri.

Une sorte de soulagement indigné passa sur les traits de M. Gigot. Ah, il comprenait mieux, là ! Au  moins notre attitude était logique. Inacceptable, certes, mais cohérente.  Et qu’on ait  procréé un voyou de cette trempe ne le surprenait guère.

— Et vous, madame, quel est votre métier ? interrogea-t-il en se tournant vers moi, dans l’espoir illusoire de trouver une alliée

— Euh… rédactrice dans la presse gay.

 L’espace d’un instant, je crus que le pauvre homme allait péter les plombs, ou a minima éclater en sanglots. Mais, il se ressaisit,  se leva, et, nous montrant la porte, glapit d’une voix rauque :

   — Je vous ferai parvenir d’ici une quinzaine la facture des travaux de réfection.

  Olivier, qui nous attendait dans le couloir, nous emboîta aussitôt le pas, sans commentaire mais le cœur léger.

Aujourd’hui, il est écrivain,  comédien, chanteur, humoriste, et de nombreux établissements scolaires l’invitent à rencontrer les collégiens pour leur parler de ses débuts. Inutile de préciser que ces petites conférences ont beaucoup de succès.

 

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6 août 2014 3 06 /08 /août /2014 21:23

                   Mon cancer s’appelle Guillaume

 

Le jour où un médecin me parla de mon « gliome » ­, je compris « Guillaume » et lui fis répéter. La tumeur qui croissait dans ma tête avait donc un nom… Du coup, je  pris l’habitude de lui parler, non comme à un parasite anonyme, mais à un être issu de ma chair — voire de mon imagination — qui se nourrissait de ma substance  au même titre qu’un fœtus ou un ver solitaire. Parfois, je le menaçais mentalement : « Tiens-toi tranquille, Guillaume,  sinon je te coupe les vivres ! » Ou je tentais de l’amadouer : «  Allez, sois sympa, reste dans ton coin et fais-toi oublier ! »

         J’avais, bien entendu, vu Le Bruit des glaçons  de Bertrand Blier, ce pur chef d’œuvre d’humour noir, où Albert Dupontel sonne à la porte de Jean Dujardin pour lui annoncer avec un grand sourire : « Bonjour, je suis votre cancer !  À partir de maintenant, je ne vous quitte plus. » Cette approche décalée m’avait enthousiasmée, bien avant que je ne me sente moi-même concernée.

         Par la suite, je revis le film à plusieurs reprises, et toujours avec autant de plaisir, jusqu’au jour où, en plein après-midi, mon téléphone sonna…

         — Allo, c’est Guillaume, fit une voix primesautière que, dans un premier temps, je n’identifiai pas.

         Le souffle coupé par la surprise, je bredouillai :

— Qui… qui ça ?

         Il s’agissait, en fait, d’un vieux copain perdu de vue depuis des années, qui avait retrouvé ma trace par Internet.

         — Non mais ça va pas, de me faire des peurs pareilles ? soufflai-je, hors de moi.

         Ma réaction le désarçonna.

         Mais bon, c’était sa faute, aussi. Il n’aurait pas pu s’appeler Philippe ou Jean-Pierre, comme tout le monde ?

        

        

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5 août 2014 2 05 /08 /août /2014 22:36

                                       Sur la plage, abandonnée

 

         J’avais quel âge ? Allez, quatre ans, au maximum. Nous étions en vacances à Lombardsijde, au bord de la Mer du Nord. Le soleil tapait dur sur le parasol familial. Maman tricotait, papa lisait, et moi, je transpirais à grosses gouttes en faisant des pâtés de sable.

         — M’man, j’ai trop chaud. Je peux aller me baigner ?

         Ma mère acquiesce distraitement.

         — D’accord, mais tu restes sur le bord et tu trempes juste tes pieds dans l’eau, puis tu reviens.

         Me voilà partie vers la frange grise des vagues. Nous sommes à marée basse et la plage est immense. Après avoir barboté quelques instants, je cherche mes parents des yeux et ne vois que des corps allongés, à perte de vue. Alors, je me mets à pleurer. Une grosse dame s’approche, me tend un bonbon que je repousse en trépignant ; il est sûrement empoisonné. D’autres personnes compatissantes m’entourent, me parlent, veulent m’emmener ; je hurle de plus belle. Toute cette sollicitude m’épouvante. Je me sens comme un agneau cerné par une horde de loups.

         Et soudain, qu’aperçois-je, parmi la foule hostile ?  Une fée (En fait, une blondinette d’une douzaine d’années) à qui je tends les bras. Elle m’emporte, me console ; nous retrouvons ma mère. Tout est bien qui finit bien ; sauf…

         … Sauf que je ne veux plus la quitter.

         La séparation est terrible. Je m’agrippe à elle ; elle me repousse ; je me débats. Maman tente en vain de me raisonner, papa fait les gros yeux. Bref, m’abandonnant aux mains de mes géniteurs, la fée finit par se sauver, trop contente d’être débarrassée du petit crampon beuglant qui refuse de la lâcher.

         Une heure plus tard, les sanglots me secouent toujours. Ce sera mon premier vrai chagrin d’amour, je crois.

 

 

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5 août 2014 2 05 /08 /août /2014 00:54

                                                 Conversion (suite)

 

         Le père d’Alain (de Shabazz, pardon) venait de décéder dans une lointaine province.

         — Je dois me rendre à l’incinération, m’annonça ce dernier, qui, depuis des années, avait perdu ses parents de vue. Mais j’ignore où ça se passe et comment on y va. J’ai juste le nom d’un bled : Soulcié-sur-Loire, et ça m’angoisse d’ y aller seul.

         — Tu veux que je t’accompagne ?

         — Tu ferais ça pour moi ?

         Ne conduisant ni l’un ni l’autre, nous cherchons la gare la plus proche, et nous voilà partis, vêtus de noir comme il se doit. C’est le printemps, les chemins sont détrempés. Mes talons hauts et ses souliers vernis s’enfoncent dans la gadoue, d’autant que, très vite, nous sortons des sentiers battus pour nous retrouver en rase campagne. Vus de l’extérieur, on doit avoir une drôle d’allure, à errer dans les prés avec nos habits de deuil, comme deux grands corbeaux hagards. Enfin, après plusieurs heures de recherches, nous atteignons le crématorium ; un bâtiment glauque à souhait, équipé d’une chapelle où l’on nous introduit. S’y trouvent déjà quatre personnes : un couple âgé et deux jeunes filles en pleurs : les voisins du défunt qui se sont occupés de lui jusqu’au bout. De famille, point : le vieillard était veuf et n’avait eu qu’un fils unique.

         Comme nous nous asseyons, un élégant croque-mort s’approche d’Alain et  lui propose de dire quelques mots au micro. La gaffe ! En fait d’allocution funèbre, notre Shabazz (qui avait, à l’évidence, prémédité son coup) se lance dans une série de sourates, chantées à pleine voix avec un vague accent allemand.        

          L’ahurissement des spectateurs vaut le détour. Convaincus qu’il s’agit d’une plaisanterie douteuse, ils se lèvent comme un seul homme et quittent le reposoir. Personnellement, je rentrerais bien sous terre, d’autant que le croque-mort me glisse à l’oreille :

         — Votre mari est Arabe ? Vous auriez dû nous prévenir… Nous vous aurions donné une autre salle.

         — Euh… ce n’est pas mon mari et il n’est pas Arabe.

         Je ne me suis jamais sentie aussi gênée. Comment lui faire comprendre que par cette ultime provocation,  Shabazz vient d’obliger le géniteur tyrannique qui l’a brimé en tant que gay, en tant qu’artiste, en tant qu’hurluberlu, à l’accepter en tant que musulman ?

         Un règlement de compte posthume, en somme.

 

 

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3 août 2014 7 03 /08 /août /2014 23:50

                                              Conversion

 

         Pour Alain, qui, durant plus de trente ans,  fut mon meilleur ami, la solidarité n’était pas un vain mot.  Toute minorité opprimée, de quelque nature qu’elle soit —  ethnique, sociale, politique, sexuelle…, titillait sa fibre empathique, au point que  je l’ai longtemps soupçonné de n’être gay que par fraternité pure, en un temps où ces mœurs  étaient encore taboues. Face au ku-klux-klan, il eût été Noir, aux SS, résistant, aux collabos, Juif, à Israël, Palestinien, à l’oppression masculine, femme. Bref, cet être sensible, un peu excentrique et violemment humain, portait sur ses épaules toutes les misères du monde, et en redemandait.

         Quand, au début du vingt-et-unième siècle, une islamophobie rampante commença à souiller la France, il décida de devenir musulman. Et comme il ne faisait jamais rien à moitié, il se rendit à la mosquée pour officialiser sa conversion.

         La démarche fut houleuse. Deux heures plus tard, effondré sur mon canapé, il sanglotait devant un verre de whisky.

         A mes questions pressantes, il n’eut qu’une seule réponse :

         — Je me suis fait jeter par l’imam, tu te rends compte ?

         — M’enfin, pourquoi ? Que lui as-tu dit ?

         — Tout ! Que je ne mangeais plus de porc, que je m’étais inscrit  à l’école coranique, que je préparais mon pèlerinage à La Mecque, que je voulais m’appeler Malik el Shabazz, comme Malcolm X, que je faisais le Ramadhan…

         — Et, euh… que tu étais homosexuel ?

         — Bien sûr !

         — Séropositif ?

         — Evidemment !

         — Alcoolique ?

         — Je n’allais pas lui cacher ça, tout de même ! Quand on embrasse la Foi, il faut un minimum d’honnêteté.

         Je n’ai pas ri, non. Ç’aurait été de mauvais goût. Certaines candeurs sont si touchantes qu’elles forcent le respect — sauf celui des religieux, semblerait-il.

         Et on s’étonne que je sois athée ?

 

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2 août 2014 6 02 /08 /août /2014 21:22

                                                    Le Parmesan

 

         Cette année-là, Sylvain tournait un film dans les caves de l’Odéon, alors en pleine réfection. Tout ce qui y était entassé depuis des siècles avait été déblayé et stocké dans un coin, en attendant la benne. Ayant besoin d’accessoires pour un  décor de squat, Sylvain se sert « au tas » comme on l’y a autorisé. Il pioche dans les malles de vêtements de scène hors d’usage, récupère quelques meubles bancals, de la vaisselle ébréchée, des bibelots poussiéreux bref, farfouille à qui mieux mieux dans l’amoncellement de détritus.

          En cherchant de quoi caler un pied de table, il dégote une sorte de planchette noirâtre qui, lui semble-t-il, fera l’affaire. Cependant, en l’examinant de plus près, il constate que c’est, non un simple bout de bois, mais un petit tableau en très mauvais état et couvert d’un épaisse couche de crasse.  Intrigué, il le ramène à la maison où, avec mille précautions,  nous entreprenons de le nettoyer, ce qui révèle peu à peu une silhouette de femme penchée sur un enfant.

         — On dirait une Vierge !

         En effet. En dépit des nombreuse déchirures qui le rendent quasiment illisible, le petit tableau représente bien une Vierge : confirmation nous en est donnée par les photos prises un instant plus tard et volontairement surexposées pour éclaircir l’image.

         — Tu crois que ça a de la valeur ?

         — Pas la moindre idée, mais derrière la toile, quelqu’un a marqué « Le Parmesan ». C’est un peintre de la Renaissance, ça, non ? Un des grands maîtres du maniérisme italien, si je ne m’abuse…

         Wikipédia n’étant pas encore passé dans les mœurs, nous ne faisons qu ‘un bond jusqu’à la librairie voisine où le rayon « art » est assez conséquent. Gagné ! Il y a justement un bouquin  sur la Renaissance italienne soldé à moitié prix. Les œuvres du Parmesan y sont en bonne place.

         Armés chacun d’une loupe, nous examinons minutieusement chaque reproduction dans l’espoir d’y trouver « notre » Vierge. Peine perdue ! Si les positions offrent une certaine ressemblance, si les visages ont quelques traits communs, y discerner la patte du Maître est affaire de spécialiste, et nous, on n’y connaît que dalle.

         — Je vais téléphoner à un cabinet d’expertise, décide Sylvain.  

         Dès les premiers mots, la société Christie’s  (qu’il a contactée en priorité) se montre intéressée.

         — Si c’est un Parmesan authentique, ils parlent de plusieurs millions de dollars, m’annonce-t-il, dans l’état d’excitation qu’on devine. Je file leur porter les photos.

         Le retour est plus mitigé.

         ­ — Les experts ne sont pas d’accord. Certains d’entre eux pensent qu’il s’agit, non d’un tableau du Maître, mais du travail d’un de ses élèves — ce qui, bien sûr, en réduit considérablement la valeur. Ils veulent voir l’original.

         C’est chose faite le jour même. D’autres experts consultés confirment la sentence — sans toutefois être formels : ce Parmesan n’en est sans doute pas un,  mais ce n’est pas non plus une copie a posteriori. De l’avis général, il doit dater des alentours de  1520.

         — À combien l’estimez-vous ? s’enquiert Sylvain.

         — En l’état, pas plus de 5000 frs, mais une fois restauré, je dirais le double.

         — Et que coûterait cette restauration ?

         — Entre 10.000 et 15.000 frs, minimum.

         — C’est un gros investissement. A ma place, que feriez-vous ?

         — Je le garderais et j’essayerais de le retaper moi-même. C’est un joli objet…

         Bon. Bon, bon, bon, bon, bon.

         Sylvain reprend sa trouvaille et rentre à la maison, fort dépité.  C’est qu’entre-temps, nous avons gambergé, nous ! Cette fortune tombée du ciel, on lui a trouvé mille utilisations, tant personnelles que familiales, amicales,  ou même humanitaires.

         — C’est loupé, m’annonce-t-il en rageant le tableau au grenier. Le type de chez Christie’s me déconseille de le vendre : il coûterait plus cher qu’il ne rapporterait. On devrait l’accrocher dans le salon, qu’en penses-tu ?

         Je fais la grimace :

         — Bof, moi, tu sais, les bondieuseries…

         Mon peu d’enthousiasme ayant coupé court à ses velléités, Sylvain n’y touchera plus. Et le Parmesan-qui-n’en-est-pas-un, après avoir bercé nos rêves et semé la panique chez les plus éminents galeristes, poursuivra sa carrière, recouvert de poussière et de toiles d’araignées, entre un vieux paravent, un mannequin sans bras, une chaise percée branlante et des cartons de bouquins.

         Jusqu’au jour où un brocanteur, rencontré dans un vide-grenier, nous débarrassera, pour une bouchée de pain, de l’innommable fatras qui encombre le grenier, dont nous voulons faire une chambre d’amis.

 

         C’est vingt-cinq ans plus tard que j’apprends la nouvelle : une œuvre de jeunesse du Parmesan, d’une facture assez maladroite bien que certifiée rigoureusement authentique, vient d’être découverte chez un broc’ de province. Le musée du Louvre se porte acquéreur pour une somme pharamineuse.  Sylvain n’étant plus là, j’ai les boules pour deux. Mais je me console en pensant à l’expert de chez Christie’s qui, lui, doit sûrement s’en mordre les doigts jusqu’aux aisselles !

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1 août 2014 5 01 /08 /août /2014 21:48

                                                     Rêve brisé

 

         Dieu, que je l’aimais, cette lampe ! Une « mandarine » en pâte de verre orange achetée quelques euros dans un vide-grenier. Certes, elle était bien démodée ! Au début des années quatre-vingts, ces reproductions de luminaires art-déco faisaient fureur aux Puces de Clignancourt. En avais-je rêvé, à l’époque ! Mais elles valaient la peau du cul, et nous étions fauchés.

         J’installai mon acquisition dans le petit salon du bas, qui servait de chambre d’amis. Mon fils Olivier et sa femme Brigitte y logeaient pendant les vacances, quand une nuit…

         Un fracas de verre brisé en provenance de l’entresol me réveille en sursaut, suivi d’un cri aigu :

         — Attention !  Ne bouge pas, surtout !

         Puis la voix tremblante d’Olivier :

         — Mais… qu’est-ce que c’est que cette horreur ?  Bri, que s’est-il passé ?

         — Ne bouge pas ! Ne bouge pas !

         Je dévale l’escalier quatre à quatre  pour trouver ma Brigitte tétanisée, devant son mari, couché sur le matelas à même le sol, et couvert d’une pelisse de minuscules débris de verre.

         — Je… je… J’ai renversé la lampe et elle a explosé en mille morceaux, explique-t-elle. Il y en a partout. Attention où tu mets les pieds !

         ­ ­ — Et je fais quoi, moi ? s’effare Olivier, en tentant de se redresser.

         — Rien. Tu restes parfaitement immobile.

         Vu que le matelas, la couette, la moquette — et sa peau  — ne sont plus qu’un tapis d’échardes acérées, il n’insiste pas. Au moindre geste, c’est la blessure assurée.

         Brigitte court chercher l’aspirateur afin d’éradiquer le plus gros du danger, et, tandis que je fous ce qui reste de la lampe à la poubelle, Olivier prend une douche, histoire de comptabiliser les dégâts. Par chance, à part quelques griffures sanglantes sur le torse et les bras, il est indemne.

         Ouf, on l’a échappé belle !

         C’est meurtrier, des fois, un rêve brisé !

        

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31 juillet 2014 4 31 /07 /juillet /2014 23:10

                                                 Cry, baby

 

         On fait parfois d’étrange rencontres, dans les salons. En 1998, à Montreuil ,  je dédicaçais au stand Hachette quand une jeune femme s’approche de moi et, sans préambule, fond en larmes. Devant mon ahurissement (et celui de mes collègues), elle déclare, d’une voix hoquetante :

         — Excusez-moi, c’est l’émotion. « La Bibliothécaire » m’a bouleversée au-delà de tout. C’est le livre que j’aurais rêvé d’écrire. Vous rencontrer, c’est comme rencontrer une autre moi-même idéale…

         Bien embarrassée, je l’invite à prendre un café à la buvette, histoire qu’elle se remette, mais rien à faire : elle pleure, pleure, pleure sans discontinuer. Et pendant ce temps-là, devant mon stand, la file s’allonge… Je finis quand même par m’esquiver, nantie de ces précieux renseignements : elle s’appelle Bérénice, est documentaliste dans un collège de la région  parisienne, et c’est la première fois qu’elle se comporte ainsi.

         La première mais pas la dernière, car l’année suivante, rebelote. En pleine signature, elle se pointe devant moi et éclate en sanglots. Autour de nous, tout le monde ricane en se chuchotant des trucs à l’oreille. Je n’ai d’autre choix que d’emmener Bérénice à la buvette, où elle me réexplique les raisons de son émoi.

         Elle me les réexpliquera encore en 2000, où la même scène se reproduit à l’identique, puis en 2001, de sorte qu’en 2002, je prends les devants. Au risque de passer pour une frimeuse, j’explique aux quatre auteurs présents ce qui risque de se produire, et ça ne loupe pas : Bérénice déboule comme les autres années. Mais cette fois, elle a les yeux secs, et dégage même une certaine agressivité.

         —  Je suis terriblement déçue, me lance-t-elle de but en blanc. J’ai lu « L’amour en chaussettes », c’est très mauvais. Vulgaire, démago, sans inspiration.  Vous avez sali votre image. Je n’ouvrirai plus jamais un seul de vos livres.

         Ça a bien rigolé, ce jour-là, au stand Hachette !

 

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30 juillet 2014 3 30 /07 /juillet /2014 21:43

C'est vrai qu'ils sont charmants, tous ces petits villa-a-ages / Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités /Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs pla-a-ages / Ils n'ont qu'un seul point faible et c'est d'être habités… (Brassens) 

 

         Chaque année, c’est le même cirque. L’hiver, tout le monde se plaint : le village est mort, morne, triste, vide ; on s’y ennuie à mourir. Vivement l’été qui ramène les vacanciers, remplit les terrasses des cafés, peuple les chemins de randonnée et anime les rues de cris et de rires ! Puis, au fur et à mesure que  les semaines passent, la grogne s’installe : il y a trop de bruit, trop d’agitation, trop d’enfants, de voitures, d’étrangers ; on n’est plus chez soi. Vivement l’hiver qu’on se retrouve enfin entre nous !

         Et le cycle infernal recommence…

         Cette année-là, pour des raisons aussi aléatoires qu’inexplicables, la tension était à son comble .  Des bagarres de chiens ne cessaient d’éclater, suivies de leur corollaire : les engueulades des maîtres. Marcel, notre Nougaro local, qui répétait dans son jardin au son de l’orgue de Barbarie, se fit agresser par une voisine dépressive. L’allumé de service hurla des mantras pour couvrir leur dispute, perturbant un groupe de touristes qui s’enfuirent en courant, les mains sur les oreilles. Les vieux qui jouaient aux cartes sur la place de l’église, houspillèrent les gamins qui roulaient à vélo et confisquèrent le ballon de deux footballeurs en herbe. L’épicerie, pourtant fort accueillante, fut le théâtre de psychodrames d’une rare violence.

         «  Que se passe-t-il ?  me demandais-je , témoin navré de ces débordements. D’où provient ce regain d’asociabilité ? Est-ce l’actualité qui leur monte à la tête ? La coupe du monde ? Le tour de France ? A moins que… Des déferlements d’ondes cosmiques, peut-être ? Comme dans les bouquins de SF… »

         La réponse vint d’en-haut. Un tract municipal incriminant les pigeons dont les fientes bouchaient les gouttières, souillaient  les façades et rongeaient les fils électriques, fut distribué dans les boîtes aux lettres. C’étaient ces «  rats ailés », les responsables de la névrose ambiante. Dès lors, on fit appel à une société de chasse pour éliminer le fléau, ce qui, non seulement  mit le village à feu et à sang, mais donna à ses habitants une nouvelle raison de s’écharper : les défenseurs des animaux contre les partisans de la solution ultime. S’ensuivirent des échanges d’insultes, des menaces verbales, des lettres anonymes, des pétitions, des dénonciations crapuleuses, des règlements de compte publics, prélude à une période d’accalmie relative que tout le monde apprécia,  fût-ce au prix d’une trentaine de petites vies sacrifiées.

         Décidément, l’humain ne changera jamais. Si vis pacem para bellum —même quand ce sont les êtres les plus inoffensifs qui en font les frais…

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