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3 mars 2012 6 03 /03 /mars /2012 07:17

Beata solitudo, sola beatitudo 

   Après la parution, en 1989, de « Et Rose elle a vécu » (version retitrée d’ « Autopsy d’une conne ») aux éditions Denoël, deux romans et une nouvelle sont programmés l’année suivante. Ça y est (crois-je, ô naïve enfant !), j’ai enfin trouvé MON éditeur. Celui que j’attends depuis toujours. Celui qui va me prendre en charge, me servir à la fois de père, de mère, de mentor, et me hisser au firmament de la littérature. Gloria, alleluia !

         Jacques Chambon, avec sa collection « Présence du fantastique », est en grande partie l’artisan de ce prodige. L’Editeur avec une majuscule a donc, pour un temps, son visage. Aussi, quand il me dit : « Ce soir, nous organisons une petite fête à l’occasion de (je ne sais plus quoi), j’espère que tu seras des nôtres », je ne me sens pas le droit de refuser. D’ailleurs, en ai-je envie ? Mon plus cher désir n’est-il pas de m’inclure dans cet univers mythique, de m’y fondre enfin corps et âme ?

         Oui-da, mais encore faut-il en être capable.

         A l’heure dite, je me pointe rue du Bac. La grande salle du premier étage est pleine à craquer. Des gens très à l’aise papotent, le verre à la main, se sourient et se congratulent. Il y a là le gratin des auteurs de SF qui deviendront, par la suite, mes copains. Mais pour l’heure, ce sont des inconnus. Jacques va d’un groupe à l’autre, affable, volubile. Il ne s’aperçoit même pas de ma présence, et pour cause ! je reste sur le pas de la porte, paralysée de trouille.

         J’essaie de prendre sur moi, de me conditionner. « Allons allons, me dis-je, ils ne vont pas te manger. Pour une fois, cesse de jouer les pucelles effarouchées. Affronte la foule, conduis-toi en adulte ! » Que dalle, je flippe trop. Et en plus, à force de piétiner sur le seuil comme une andouille, je vais finir par me faire remarquer.

         Le bureau de Jacques Chambon se trouve sur le même palier. Je m’y planque en catimini. C’est là que, venu chercher un quelconque bouquin, il me trouve une heure plus tard, plongée avec délice dans « Le nid », de Lisa Tuttle.

         — Qu’est-ce que tu fiches ici ? s’étonne-t-il.

         — Ben... euh... je lis. 

         — C’est à côté que ça se passe, t’es au courant ?

         — Oui, mais je connais personne...

         Avec un soupir de consternation, Jacques Chambon m’embarque. Tant pis pour lui, je lui collerai aux basques toute la soirée !

  

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2 mars 2012 5 02 /03 /mars /2012 07:24

Feuilleton éditorial 

On va encore dire que je règle des comptes, et on aura raison. Mais comme les on-dit m’ont toujours glissé dessus, je ne vais pas me gêner.

         Après la publication, en 2008 et 2009, de mes recueils de contes « Princesse Zoumouroud » et « La fiancée du singe », je propose à Hachette un troisième opus : « La petite reine qui sauva les arbres ». Ce recueil, comme les précédents, a un fil conducteur, en l’occurence le respect de la nature. Dix contes de tous pays, précédés d’un avant-propos destiné aux lecteurs de 9 à 13 ans — et, éventuellement, à leurs enseignants —, développent cette thématique hautement actuelle.

         La directrice de collection, Nadine B., à qui je soumets mon idée, l’accepte avec enthousiasme, avant de me rappeler un mois plus tard pour m’annoncer, fort embarrassée, que le projet a été rejeté par sa direction. Entre-temps, bien sûr, j’ai écrit les contes en question... Qu’à cela ne tienne, je les replace dans divers recueils qui paraissent chez d’autres éditeurs — hormis, par pur hasard, celui qui porte le titre-phare.

         Une année s’écoule avant qu’Hachette me re-sollicite. Mon projet est revenu sur le tapis, m’annonce joyeusement Nadine, et cette fois, les grands pontes l’approuvent. À une condition, cependant : que le nombre de contes soit porté à vingt.

         — Vingt histoires sur le même sujet ? protestai-je. Ça fait beaucoup ; il y a des risques de redite.

         Afin de me convaincre, Nadine s’engage à doubler également l’à-valoir ; donnant-donnant. Dans ce cas...

         Je me remets au travail, et écris laborieusement dix-neuf nouveaux contes. Nadine les lit, exige quelques modifications mineures (dont un changement de titre : le recueil s’intitulera désormais « Le croqueur de lune ») et m’envoie un contrat que je m’empresse de retourner, signé.

         Un mois plus tard, comme je n’ai toujours pas reçu mon exemplaire contresigné, je lui téléphone pour le lui signaler.

         — C’est normal, déplore-t-elle. Ma hiérarchie conteste le montant de l’à-valoir. Ce recueil vous sera payé le même prix que les deux autres.

         — Il m’a demandé deux fois plus de travail, protestai-je.

         — Ce n’est pas moi qui décide, malheureusement. Je vous établis un nouveau contrat ?

         Que faire, sinon accepter ? Un à-valoir sous-estimé, c’est mieux que rien... Rebelote, donc. Mais l’exemplaire contresigné ne me parvient pas plus que le précédent, et pour cause :

         — Les commerciaux s’opposent à la publication de ce livre, m’avoue Nadine, complètement mortifiée. Le conte n’est plus un genre assez vendeur, selon eux.

  Voilà comment « Le croqueur de lune » a atterri aux éditions Mijade où il fait, depuis, un bien joli score !        

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1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 06:42

Déni de soie

  J’ai toujours souffert de ne pas être conforme au portrait que se faisait ma mère de « la fille idéale ». Elle m’eût voulue sérieuse, élégante, l’allure conventionnelle, le parler discret, les idées étroites. Or, j’étais tout l’inverse : échevelée, toujours en salopettes ou en vieux jean’s troués, disant des gros mots, écrivant des cochoncetés et tournant tout en dérision — surtout le sacré. Pauvre maman, qu’avait-elle donc fait pour mériter ça ? 

         Une année, taraudée par le remords, je décidai de remédier à la chose. De lui offrir, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, une fille conforme à ses désirs (du moins en apparence). Je vivais à Paris, à cette époque. Bien que peu argentée, j’avais quelques économies que je claquai allègrement dans une boutique de fringues, chez un coiffeur et au rayon cosmétique de Monoprix. Ce fut donc vêtue d’un tailleur bleu marine, perchée sur des talons hauts, maquillée et permanentée que je pris le train pour la Belgique. J’avoue m’être, durant tout le trajet, regardée dans le reflet de la vitre, en me demandant avec consternation qui était cette pétasse qui me ressemblait si peu. Mais bon, l’amour filial justifie, quelquefois, ce genre d’auto-trahison...

         En débarquant à Spa, je m’attendais à des exclamations de surprise, des compliments ravis ou, au minimum, une approbation émue. Eh bien pas du tout. Ma mère m’examina de la tête aux pieds d’un œil critique, avant de remarquer, mi-figue mi-raisin :

         — Qu’est-ce que c’est que ce déguisement ? Tu es ridicule, ainsi.

         Une telle clairvoyance me laissa sur le cul. Dix minutes plus tard, je réenfilais avec soulagement ma salopette (que j’avais pris la précaution d’emporter dans mes bagages), puis me passai la tête et le visage sous l’eau.

         — Ah ! s’exclama ma mère, en me voyant sortir de la salle de bains, la tignasse encore toute dégoulinante. Je te retrouve enfin, ma chérie !

         On ne m’a jamais fait de plus beau compliment.

 

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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 07:30

Le rat débile et le rat méchant

  1996. Avec la succès de la série « Chair de poule », la peur est à la mode, dans l’édition jeunesse. Or, je me suis, depuis de nombreuses années, spécialisée dans ce genre un peu particulier. Si bien qu’à l’occasion du salon de Montreuil, le journal télévisé me demande une interview.

         — Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous viendrons vous filmer chez vous, dans le décor de votre travail, précise la journaliste, au téléphone.

         Nous prenons rendez-vous pour la semaine suivante, je fais le grand ménage, enfile ma plus belle salopette, et à l’heure dite, guette avec impatience « les gens de la télé ». C’est que je n’ai pas l’habitude d’être à l’honneur, moi ! Outre que, pour les médias, la littérature destinée aux enfants n’offre aucun intérêt, je suis allergique aux mondanités. Pour me sortir de mon trou, faut y aller aux forceps. J’apprécie d’autant plus la démarche de TF1.

         L’équipe arrive, s’installe dans mon bureau ; projecteurs, cameras...

         — Oh ! Qu’est-ce que c’est que ça ? s’écrie un technicien, en désignant mon Mac du doigt.

         « Ça », c’est Zébulon, le rat de Mélanie, qui a pour habitude de crapahuter sur le clavier de l’ordinateur. Un rat gris, je précise. Style rat d’égoût.

         De l’avis général, avoir un rat comme animal familier, pour un écrivain d’horreur, c’est la classe. Du coup, le cameraman s’en donne à cœur joie. Zébulon est filmé sous toutes les coutures. On le pose dans la bibiliothèque, sur l’un de mes livres ouvert, au milieu de mes manuscrits, que sais-je encore ? Comme il n’est pas farouche, il se laisse faire sans protester pendant que je réponds aux questions de la journaliste.

         Le surlendemain, la séquence passe aux infos de vingt heures. Elle dure trois-quatre minutes, et montre Zébulon. Uniquement Zébulon. Se baguenaudant ici et là sur ma voix off.

         Ce fut son heure de gloire.

          Pas la mienne, hélas.

  Mais ce n’est pas tout. Le concierge regardait l’émission. La présence d’un rat dans l’immeuble dont il avait la charge le scandalisa. Il s’en ouvrit aux voisins qui firent chorus, et désormais, interdit à sa femme d’entretenir notre palier « de peur de se faire mordre ». J’eus beau lui expliquer que Zébulon était apprivoisé, très propre, et ne transportait aucune maladie, ce triste sire ne voulut rien entendre. Il nous menaça même, en cas de récidive (?), d’appeler une entreprise de dératisation.

         Je me suis souvent demandé qui était le plus rat des deux.


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28 février 2012 2 28 /02 /février /2012 07:34

Tante Arlette

  Ma mère me trouvait trop câline. Dans son esprit formaté par d’austères préceptes moraux, c’était le signe d’un tempérament sensuel, voire vicieux, qu’il fallait contrer à tout prix. Elle m’interdit donc d’embrasser quiconque, fût-ce un parent proche, arguant que « ça ne se faisait pas ». (Quel âge avais-je, à cette époque ?  Oh, huit ans maximum !)

         Lors d’une visite à mes grands-parents, je fais la connaissance d’une tante infirmière qui vit au Congo — nommons-la Arlette, je veux pas d’histoires avec la famille. Or, cette tante se targue d’être « adorée des enfants ». C’est sa fierté, à elle, vieille fille assez repoussante. Son label affectif. A défaut de plaire aux hommes, elle séduit les gamins.

         — En Afrique, dès que j’arrive dans un village, tous les petits négrillons se ruent sur moi, affirme-t-elle. C’est comme ça, je les attire. Ils sentent que je les aime et me le rendent bien. 

         Ce discours, je ne l’entends pas (mais il me sera répété par la suite). Roulée en boule sur le canapé, je lis les « Bécassine » de ma grand-mère sans prêter attention à la conversation. Maman en conclut, à juste titre, que j’ai sommeil. Nous nous sommes levés si tôt, ce matin !

         — Va faire une petite sieste dans la chambre d’amis, me conseille-t-elle.

         — Bonne idée, s’écrie tante Arlette. Je vais l’accompagner, je suis un peu fatiguée, moi aussi.

         On monte, elle se couche dans le grand lit, moi dans le petit, et je m’endors aussitôt. À mon réveil, elle n’est plus là.

  Quand je suis redescendue, la famile prenait le thé. J’ai tout de suite remarqué le regard noir de ma mère, mais comme je n’avais rien à me reprocher, je n’ai pas réalisé qu’il m’était destiné. Ce n’est qu’au retour que j’ai eu droit à l’engueulade.

         La tante s’était vantée de m’avoir « apprivoisée ».

         — Cette petite si distante, si réservée, s’est lâchée, une fois seule avec moi, a-t-elle prétendu. Elle m’a cajolée, embrassée... Vous voyez bien qu’aucun enfant ne me résiste ! 

  C’était un mensonge, je le clame haut et fort. Je ne lui avais même pas adressé la parole. Pourtant, c’est moi qu’on a traitée de menteuse.

         Bien des années plus tard, j’ai demandé des comptes à tante Arlette. Elle ne se souvenait plus du tout de l’incident.

         — Mais si je l’ai dit, c’est que c’était vrai, a-t-elle conclu, péremptoire. Il n’y a aucun doute là-dessus !

         Révisionniste, va ! 

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27 février 2012 1 27 /02 /février /2012 07:39

Oncle Édouard

   Lorsque j'étais enfant, il y avait, chez nous, un réduit secret qui m'intriguait beaucoup. Je le découvris tout à fait par hasard, en nettoyant le grenier avec ma mère. Armées de plumeaux, nous faisions la chasse aux toiles d'araignées lorsqu’elle s’exclama, en  déplaçant une malle :

         — Il faudrait que je me décide à nettoyer là-dedans !

         Derrière la malle, il y avait une petite porte dont, jusque là, j’ignorais l’existence.

         — Qu'est-ce que c'est ?

         — Un abri sous les combles. Les précédents propriétaires y cachaient des Juifs, pendant la guerre. Va donc chercher la clé dans le tiroir de ma table de nuit.

         Je ne me le fis pas répéter, pensez ! 

         L’ouverture de la porte révéla une niche d’un mètre sur deux, d'une saleté repoussante. À mon grand désappointement, elle ne contenait qu'un paquet plat, emballé dans du papier Kraft, auquel je ne prêtai guère attention. Qu'espérais-je trouver ? Des cadavres ? Des squelettes ? Des traces de sang ou de griffures, attestant du calvaire des anciens occupants ?

         Tandis  que maman passait l'aspirateur, je m'y glissai, évoquant, les yeux fermés, l'épouvante des fugitifs terrés dans le noir. Elle s'empressa de m'en déloger : je n'avais rien à faire dans cet endroit malsain.

         — Et ne t'avise jamais d'y remettre les pieds, me recommanda-t-elle. Papa serait furieux. Déjà, s'il savait que je te l'ai montré, j'en entendrais des vertes et des pas mûres ! 

         Je promis de ne rien dire (et je tins parole), mais le réduit devint le décor récurrent de mes cauchemars. Puis je repensai au paquet. Que contenait-il ? Pourquoi était-il rangé là ? Avait-il un rapport avec les Juifs persécutés ? Ces questions, peu à peu, se mirent à m’obséder. Il fallait que je sache. Il le fallait absolument. Notre maison recélait un mystère que je devais à tout prix percer.

         Un soir, pendant que mes parents regardaient la télé, je piquai la clé, montai au grenier sur la pointe des pieds et, d'une main tremblante, ouvris la petite porte. Le paquet était toujours là.

         Tout en guettant les bruits de pas dans l'escaliers, j'entrepris de le déballer. Ce ne fut pas une mince affaire : caparaçonné dans une double épaisseur de carton, bardé de scotch et de ficelle, l'énigmatique objet me narguait. Mais comme j'étais plus têtue que lui, je parvins quand même à mes fins.

         Ce n’était qu’une peinture représentant  feu l’oncle Édouard, frère aîné de mon grand-père, dont je connaissais le visage par de vieilles photos. Les yeux maquillés, paré de bijoux, de fourrures et de châles, il était allongé, languissant, sur un sofa à fleurs, la main dans la braguette.

         En dépit de ce détail incongru — qui me fit pouffer rire —, je fus très déçue. C’était ça, le fameux mystère qui m’avait tenue éveillée des nuits durant ? Une croûte représentant un bonhomme déguisé ? En me moquant de moi-même, je le remballai de mon mieux, le refourrai dans sa cachette et l’oubliai.

  Quelque quarante ans plus tard, mon père, veuf de longue date, me légua, sur son lit de mort, le « tableau de la honte ».

         — Ne le montre jamais à personne, exigea-t-il. Je ne veux pas que la mémoire de mon oncle soit souillée par la révélation de ses mœurs dissolues. Ce serait humiliant pour toute notre famille !

         — Pourquoi  as-tu gardé ce portrait, alors ? m’étonnais-je. Tu n’avais qu’à le détruire.

         — Détruire une œuvre de T. ? Tu n'y penses pas, voyons ! Ça vaut une fortune ! 

         Je bondis :

         — C'est un T. ? Un authentique ? Tu es certain ?

         — Bien sûr : ils étaient amants.

  Aujourd'hui, passant outre les dernières volontés de mon père, j'expose oncle Édouard dans mon salon, et cette toile fait ma fierté. Ce qui ne m'empêche pas de me traiter, en mon for intérieur, de renégate…


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26 février 2012 7 26 /02 /février /2012 07:57

Journal intime

  Vous l’aurez compris : je suis menteuse. Je l’ai toujours été. Comme disait la grande Colette : « Si je ne mentais pas, je n’aurais jamais écrit ». Ces mensonge étaient, au cours de mon adolescence, d’autant plus nécessaires que mes parents me surveillaient de près. Leurs préjugés – essentiellement d’ordre sexuel — auraient fait de moi une sorte de nonne recluse si je n’avais pas trouvé d’astuces pour les déjouer. Encore une citation ? Allez, encore une, au diable l'avarice : « Si vous voulez donner de l’esprit à la plus sage, enfermez-là ! » (Molière, Les femmes savantes, je crois). 

         Or donc, en dépit de leur vigilance, je « fréquentais » un garçon. Il avait quinze ans et demi, moi seize, et nous nous rencontrions le matin, avant les cours (nous étions tout deux dans des collèges non mixtes, mais voisins). Question timing, c’était parfait. Mes parents, qui allaient tous les jours à la messe de 7h30, partaient quand mon réveil sonnait et rentraient juste après mon départ. Cela me laissait, en gros, une heure de battement pour conter fleurette. Quand j’entendais le claquement de la porte d’entrée, je déboulais de ma chambre, prête de pied en cap, embarquais mon p’tit déj’ dans un sac en plastique et filais retrouver Philippe dans le parc à côté, désert à cette heure matinale.

         Nous nous embrassions, en regardant les canards s’ébattre dans l’étang. C’était follement bucolique et d’une sagesse extrême.

         Or, un jour, pour une raison que j’ignore, maman quitta l’office plus tôt que prévu. Ne me trouvant pas à la maison, elle s’étonna d’abord, puis, comme elle était soupçonneuse par nature, se mit à gamberger. De sorte que, quand je revins à  quatre heures et demie, j’eus droit à un interrogatoire serré. J’expliquai tant bien que mal que j’étais partie en avance pour réviser mes maths avec ma copine Claire, mais elle ne me crut pas. Et, en dernier recours, exigea :

         — Montre-moi ton journal intime : lui, au moins, me dira la vérité.

         Je refusai catégoriquement. Mon journal intime, comme son nom l’indiquait, était vraiment intime. J’y racontais non seulement mes turpitudes (réelles ou rêvées), mais j’y vitupérais contre mes parents, les profs, la société et tout le toutime. Ce n’était pas une lecture à mettre entre toutes les mains, surtout pas celles de l’Autorité suprême.

         — Tu vois bien que tu as des choses à cacher ! triompha ma mère.

         Le soir, seule dans ma chambre, je réfléchis. Et me vint une idée : si je fabriquais un faux journal intime, histoire de la calmer ? 

         J’y passai la nuit. Dans un joli cahier tout neuf, je rédigeai un vrai journal d’enfant de Marie, à la fois si clean et si spontané que n’importe qui s’y serait laissé prendre. 

         Le lendemain matin, après une heure ou deux de sommeil, je n’étais pas fraîche-fraîche.

          — Tiens, crachai-je à ma mère en lui tendant la chose. Mais je te préviens, je ne te le pardonnerai jamais. Je trouve ça dégueulase de ta part, de vouloir connaître tous mes secrets. C’est comme une sorte de viol !

         Très digne, elle repoussa le cahier :

         —Remporte-le, je sais ce que je voulais savoir. Puisque tu es d’accord pour que je le lise, c’est que tu n’as rien à cacher.

         Oh, bordel ! Tout ce travail pour rien...


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25 février 2012 6 25 /02 /février /2012 08:18

La belle histoire d’une merde

  En septembre 2001 paraît, chez Flammarion, un livre pour ados intitulé « Regardez-moi ». Il est inspiré de l’émission « Loft strory », qui sévit alors à la télévision. En gros, une collégienne de 14 ans expérimente la joie, puis l’horreur, d’être filmée vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

         Or, bien que mon manuscrit ait été accepté par l’éditrice, celle-ci — ou une de ses collègues ; elles sévissent toujours à plusieurs, dans la littérature pour la jeunesse — s’autorise à changer l’âge de mon héroïne. Elle aura 16 ans et sera au lycée. Cette décision, je le précise, est prise à mon insu car je suis en vacances. A mon retour, le livre est paru, sans relecture de ma part (ce qui, déjà, est une ineptie — et, en tout état de cause, une faute professionnnelle).

         Le résultat dépasse l’entendement:. On annonce à la première page que l’héroïne est en seconde, mais à la page 16, elle se retrouve en quatrième (distraction du correcteur ?). Tous les critères scolaires : cantine, relations avec les profs, nature des cours, préoccupations des élèves, sont, à l’évidence, ceux du collège. Bref, mon livre a perdu toute crédibilité.

         Je saute sur mon téléphone et braille comme une truie qu’on égorge. C’est ma réputation qui est en jeu ! Il faut pilonner le premier tirage !

          — Que nenni, me répond aimablement la directrice de collection. Il y a eu des erreurs, certes, et nous en sommes navrées. Une stagiaire, engagée pour l’été, a outrepassé ses droits... Mais ne vous tracassez pas, avec un erratum joint à chaque exemplaire, tout rentrera dans l’ordre.

         Ainsi fut fait.

         À mon grand dam.

         L’erratum prenait une demi-page...

         Et savez-vous quelle fut la réaction des jeunes lecteurs ?

         — Pfff, elle est en seconde, cette gourdasse ? C'est une attardée mentale ou quoi ?

          Eh oui ! Avec un bon sens qui les honore, les fautes, ils s’en foutaient, mais les incohérences psychologiques de cette préado arbitrairement promue lycéenne les choquait. Ils en ont donc conlu que ce livre était une merde, et ils ont eu raison. 

        Par la suite, Flammarion a ressorti « Regardez-moi » tel que je l’avais conçu, sans modification aucune. Il a très bien marché et en est aujourd’hui à sa cinquième réédition. 


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24 février 2012 5 24 /02 /février /2012 08:03

Comment j’ai fait mentir ma mère

  Encore une histoire de livre et d’amours enfantines. Mon frère Claude avait un copain, Roberto, dont les beaux yeux noirs faisaient chavirer mon cœur.  Sans espoir de réciprocité, hélas, car il avait dx-huit ans et moi à peine douze. Mais il peuplait mes rêves, je n’en demandais pas plus.

         Ses parents, immigrés italiens, avaient bien du mal à joindre les deux bouts. Un jour, j’entendis Claude dire à ma mère :

         — La boum d’anniversaire de Roberto est annulée : son père vient de perdre son travail.

         Ce n’était pas tombé dans l’oreille d’une sourde ! Le pauvre Roberto n’aurait peut-être pas de boum, mais j’allais lui offrir un superbe cadeau. Incognito, bien sûr.

         Je pris le billet de cent francs que j’avais reçu pour Noël et me ruai chez madame Delcourt. Depuis quelques jours trônait dans sa vitrine un livre ayant pour titre « Métier d’ingénieur ». Or, c’était justement à cette carrière-là que se destinait le beau Roberto...

         Toute ma fortune y passa. Ça en valait la peine : outre son indéniable intérêt scientifique, le livre était illustré de photos en couleur.

         — Est-ce que vous auriez une grande enveloppe ? demandai-je à madame Delcourt.

         Elle en tira une de sous son comptoir, si bien qu’en sortant de chez elle, je passai directement à la poste, expédier mon trésor. J’imaginais déjà la tête de Roberto en recevant ce mystérieux présent... C’était fabuleusement romanesque !

         Le coup de téléphone de sa mère à la mienne, deux jours plus tard, le fut nettement moins. Et ne parlons pas de  l’engueulade qui suivit ! La situation était cocasse, pourtant. L’enveloppe — chose qui m’avait totalement échappé —comportait, imprimée sur le côté, la raison sociale de la bouquinerie. Afin de connaître la provenance du cadeau, il avait suffi au destinataire d’appeler madame Delcourt, qui, sans y voir malice, avait donné mon nom.

         — Te rends-tu compte dans quelle situation tu m’a mise ? vitupérait maman. Ça t’amuse de passer pour une petite coureuse qui fait des avances aux garçons ? Eh bien, moi pas : j’étais morte de honte ! Pour sauver la face, j’ai été obligée de prétendre que l’initiative était de moi...

`         Cet aveu m’a presque consolée. Maman avait menti... Elle était donc humaine ?         

 

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23 février 2012 4 23 /02 /février /2012 06:58

À l’ombre des jeunes filles en fleur

   Mes seize ans étaient d’autant plus turbulents que mes parents, selon leurs propres termes, me « serraient la vis ». Libre de mes faits et gestes, j’eusse été plutôt sage. Mais, bridée comme je l’étais... D’autant que mes lectures et mon tempérament légèrement exalté me donnaient, de l’existence, une idée romanesque fort éloignée de la réalité. Dans le domaine de l’amour, en particulier. La mixité scolaire n’existant pas encore, dans les écoles chrétiennes, et mes parents faisant barrage à toute fréquentation masculine, je m’éprenais d’office des rares spécimens mâles que je recontrais.

         Ce long préambule explique ce qui va suivre.

         En allant acheter mes livres scolaire dans la nouvelle librairie du quartier, j’avais fait la connaissance du fils de la libraire, un dénommé Francis de vingt et quelques années. Physique assez banal, si ma mémoire est bonne, mais grande complaisance. Et aussi féru de littérature que je l’étais moi-même, ce qui, très rapidement, tissa entre nous un lien privilégié. Je pris donc l’habitude de me rendre quotidiennement aux « Mille et une pages », sans que cette assiduité inquiète ma mère (excellent alibi, la culture générale !). Et ce qui devait arriver arriva : je tombai raide-dingue de Francis. Pensez ! Une romance née sous l’égide de Voltaire, Sartre, Proust et Colette... Je dévorais avidement tous les bouquins qu’il me conseillait, inscrivais son nom dans les marges de mes cahiers, et, surtout, me mis à lui écrire des lettres torrides. Lettres que je gardais pour moi, bien entendu. Jusqu’au  jour où...

         Nous avions eu, cet après-midi-là, une conversation bouleversante. Où il était question d’amour, eh oui. Celui, sublimé à l’extrême, d’Humbert Humbert pour Lolita, dans l’œuvre, audacieuse, certes, mais si vibrante de Nabokov. J’y vis un signe. Mieux, un message. Plus encore : une déclaration... S’il me restait un doute quant à ses sentiments, il était à présent dissipé.

         Je ne fermai pas l’œil de la nuit, et, au matin, je pris ma plus belle plume et rédigeai une missive, destinée, cette fois, à être lue par lui. J’y avouais ma passion de manière explicite et y formulais moult projets d’avenir....

         En tremblant d’émotion, je me rendis à la librairie pour la lui donner. Il n’y était pas. Sa mère non plus. Une inconnue entre deux âges les remplaçait. Lorsque je m’informai des raisons de leur absence, elle me répondit :

         — Ils sont au mariage. 

         — Quel mariage ?

         — Celui de Francis. Sa fiancée, Lydia, est la meilleure amie de ma fille.

         Le direct à l’estomac me laissa KO.

         — Ça va ? s’enquit la dame en me voyant tituber.

         J’eus la force de tourner les talons et de m’enfuir en bredouillant :

         — Oui, oui, merci. Je repasserai...

         Je n’ai jamais remis les pieds aux « Mille et une pages ».

  La lettre a longtemps servi de signet à « Lolita ».  Puis je l’ai jetée, en bénissant le maître Hasard pour son timing. Si je l’avais écrite un jour plus tôt, bonjour le pataquès !

 

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