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27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 06:55

Daniel, Danièle

  Démarrer dans la profession d’auteur pour la jeunesse n’est pas chose aisée. En vivre, encore moins. Heureusement, dans les années quatre-vingts, des instances officielles soutenaient les débutants, en particulier le ministère de la jeunesse et des sports qui, tous les ans, dotait généreusement un roman inédit.

         — Tu devrais présenter un manuscrit, m’avait conseillé un ami écrivain, lui-même lauréat quelques années plus tôt.

         Pourquoi pas ? À condition de trouver une idée originale, bien sûr...  Mais laquelle ?  

         La vie m’offrit sur un plateau un sujet selon mon cœur.

         A cette époque, j’avais une amie transsexuelle qui, comme c’est parfois le cas, avait une curieuse allure. Ni tout à fait femme, ni tout à fait homme, elle affrontait quotidiennement le regard de ses contemporains, dont la palette allait de l’ironie au mépris, voire à une franche hostilité. Ma fille Mélanie, alors âgée de sept ans, l’adorait, si bien que j’avais fini par l’embaucher comme baby-sitter. Les mercredis après-midi, pendant que j’étais au bureau, elles se baladaient au bois de Vincennes, musardaient sur les grands boulevards, faisaient du shopping ou allaient au cinéma, et Mélanie rentrait toujours enchantée de ces escapades. Elles étaient si complices que ma fille avait pris l’habitude de l’appeler « maman » en public, ce qui closait le bec aux préjugés et donnait à Danièle l’illusion d’être enfin une « vraie » femme. La maternité, c’est le label de féminité par excellence, non ?

         Sur cette relation que je trouvais adorable, je brodai un petit roman à ma manière, où se côtoyaient l’humour, le suspense et l’émotion, puis, très contente de moi, j’envoyai mon œuvre à qui de droit.

         Le résultat fut proclamé quelques mois plus tard, au cours du salon de Montreuil. Le cœur battant, je m’y rendis.

         Or, non seulement « Daniel, Danièle » ne fut pas retenu, mais après avoir remis les prix, le président du jury annonça qu’il avait une déclaration à faire. En substance, il souhaitait que « les candidats qui seraient tentés d’envoyer des textes scabreux, mettant en scène des travestis ou des maniaques sexuels, veuillent bien s’en abstenir ».

         — Je vous rappelle que ce prix est destiné à promouvoir une œuvre littéraire de qualité, non à faire l’apologie des déviances, conclut-il, sous les applaudissement.

         Certes, il ne m’avait pas regardée, en disant ça, puisque les envois était anonyme. Mais comme j’avais piqué le fard de ma vie, j’eus le sentiment que toute la salle se tournait vers moi, et qu’on me montrait du doigt en chuchotant : « C’est elle, la salope qui pervertit notre belle jeunesse ! »

         J’ai eu du mal à m’en remettre, et « Daniel, Danièle » est resté dans mes cartons. Il y est toujours. M’exposer à un autre camouflet aurait été au-dessus de mes forces ! 

 

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commentaires

G
ça, c'est rigolo ! Comme quoi les auteurs sont sensibles à ce problème !
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N
J'arrive un peu tard mais je me rappelle qu'un thème très proche est abordé dans le tome 4 du Petit Spirou paru en 94 :)
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G
Aujourd'hui, ça semble encore plus évident qu'il y a dix ou vingt ans. Les "nouvelles morales" venues d'outre-Atlantique n'y sont, à mon avis, pas étrangères...
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A
Mais c'est hallucinant! J'ai l'impression que de plus en plus, les auteurs qui "osent", qui dévient des chemins tout racés ont de plus en plus de mal à faire entendre leurs voix. C'est la<br /> littérature jeunesse et les lecteurs qui en pâtissent.
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C
Peut-être en te mettant en lien avec des éditeurs alternatifs LGBT ? (ils ont tendance à beaucoup oublier le T de LGBT malheureusement) Même si bon, a priori ils ne destinent pas leurs publications<br /> aux enfants la plupart du temps, peut-être qu'ils pourraient t'aider.
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