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29 août 2014 5 29 /08 /août /2014 13:00

La publicité est une véritable plaie. Or, cette plaie, Over-blog, l'hébergeur de mon blog depuis de nombreuses années, s'est mis en tête de me l'imposer, ainsi qu'à mes  lecteurs. J'ai donc pris mes cliques et mes claques et suis allée me réfugier chez Eklablog, qui respecte l'intégrité de ses utilisateurs. Désormais, chaque jour, nous nous retrouverons à cette nouvelle adresse pour un "Moment de Solitude", ou pour une info sur mes nouvelles publications. Bienvenue, donc, chez Eklablog !

Voici l'adresse :

 

http://gudule.eklablog.com/

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28 août 2014 4 28 /08 /août /2014 21:16

                                         Impure et fière de l’être

 

            Cette histoire remonte à la fin des années cinquante. J'étais en sixième, dans un « pensionnat pour jeunes filles de bonne famille », au fin fond de la Belgique. À cette époque, toute notre éducation était axée sur la pureté, obsession récurrente des religieuses.                

         — Votre corps est le temple du Seigneur, vous lui devez un respect absolu, nous serinaient à l’envi ces excellentes femmes.

         Le péché suprême, c'était « se toucher », selon l’expression consacrée. Nos livres pieux ne parlaient que de ça. L'un d'eux, le plus prestigieux, celui que chaque élève se devait de consulter au moins une fois par jour, s'intitulait Pureté, mon beau souci, et ses préceptes revenaient comme une ritournelle dans les propos de nos enseignantes.

En revanche, la calomnie, la délation, le racisme, l'exclusion, la discrimination, le mépris, qui se pratiquaient en permanence dans cette communauté d'adolescentes, — et dont certaines d’entre nous souffraient cruellement —, étaient considérés comme de simples broutilles. Nous pouvions tourmenter une pauvre gamine sans défense, la mettre en quarantaine, l'humilier, nous moquer d'elle, bref faire de sa vie un cauchemar de chaque instant, c'était sans importance. Mais se toucher, oh là la ! Ça, c'était grave ! Un acte abject, inexcusable,  qui nous ouvrait en grand les portes de l'enfer—sauf si, bourrelées de remords, nous en demandions pardon à genoux, tête baissée, bafouillant de honte dans l'obscurité du confessionnal.

J'ignore si certaines de mes camarades transgressaient ce tabou. Avec le recul, la chose  me paraît évidente. Mais moi, j’ aurais jamais osé. Enfin,  jusqu'à ce fameux soir d'avril ...

J'avais un cafard monstre. Je m'étais disputée avec ma meilleure amie, mes parents me manquaient, mon lit était glacé. J'aurais donné n'importe quoi pour un peu de douceur, des paroles tendres, un sourire complice.

Au fait, depuis combien de temps ne m'avait-on pas embrassée ?  Deux, trois mois ?

Ce constat mit un comble à mon désarroi. Je me repliai sur moi-même — pas seulement moralement ; physiquement aussi. C'est-à-dire que je pris, sans vraiment m'en rendre compte, la position fœtale, dos arqué et genoux repliés sous le menton. Puis, comme j'avais les mains froides, je les glissai, d'instinct, entre mes cuisses. Oh, sans mauvaise intention, je le jure ! Mais un démon mutin dut y mettre du sien , car, soudain, quelque chose s’éveilla en moi. Une sensation inconnue, et si agréable qu'elle détourna le cours de mes pensées. Je cessai de grelotter, pour m'absorber dans la chaleur qui irradiait d'un point particulier de mon anatomie, et rayonnait dans tout mon ventre.

Cette ressource intime m'émerveilla — sans que, dans un premier temps, je fasse le rapprochement entre le plaisir que j'éprouvais et l'interdit que les sœurs m'avaient fourré en tête. (Une telle candeur peut paraître absurde, mais que l'on se reporte à notre ignorance et aux métaphores tarabiscotées dont usaient les adultes à notre encontre, faute d'oser appeler un chat un chat.) Comment aurais-je pu soupçonner que ce que je faisais en toute innocence était justement ce crime mystérieux dont, à mots couverts, on nous rebattait les oreilles ?

D'ailleurs, qu'est-ce que je faisais, hein ?

Rien.

À part bouger un tout petit peu les doigts pour empêcher la chaleur de s'éteindre. Quel mal y avait-il à ça ?

Il ne me fallut pas longtemps pour m'apercevoir que certains gestes précis, non seulement prolongeaient la sensation, mais l'accentuaient. La rendaient plus aigüe, presque insupportable, mais tellement, tellement bonne.

Ce soir-là, en poussant plus avant l'expérience je découvris l'orgasme — ce jaillissement cosmique ; cette pluie d’étincelles ; cet essaim d’étoiles butinantes.

Et je découvris autre chose, aussi, de bien plus important. Lorsque le monde entier vous abandonne, il reste toujours quelqu’un pour vous aimer : vous-même.

Ainsi, avec mes doigts, dans le silence transi d'un dortoir religieux au fin fond de la Belgique, appris –je à m'aimer. Et acquis-je, de ce fait, une conviction profonde :  l’amour de soi est le premier pas vers l'amour des autres.

Le lendemain, j’allai à confesse. Mais je ne parlai pas de mon aventure nocturne à l'aumônier tapi dans le noir, oh non ! Les seules fautes que j'avouai étaient celles que je regrettais d’avoir commises : méchanceté gratuite, mesquinerie, égoïsme, rancune, malveillance,  manque de générosité, de gentillesse, d’empathie. Et ces défauts-là, je promis solennellement de m'en corriger.

Promesse que j'ai tentée de tenir, ma vie durant.

Par contre, je suis restée impure, et fière de l'être.

 

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27 août 2014 3 27 /08 /août /2014 23:00

                                                          Minitel rose


       En vérité, je vous le dis, la boîte où je travaillais, Publications nouvelles (Pubnou pour les intimes) avait inventé le minitel rose. C’est même ce qui lui avait redonné un second souffle quand, après cinq ans de bons et loyaux services, les ventes des revues s’étaient ralenties de manière préoccupante.

         Toutes les formules vieillissent, même les formules magiques. La nôtre : « les exhibitionnistes se racontent, nous publions leurs lettres et les voyeurs se régalent », commençait à battre de l’aile malgré son trait de génie. Lorsque les P&T lancèrent le minitel, ce fut, dans ce domaine, une révolution. Un véritable dialogue put enfin s’instaurer entre les adeptes de ces fantasmes complémentaires  — un dialogue immédiat et vivant, d’où son immense succès.

         Ma direction avait embauché quelques étudiant(e)s chargé(e)s d’animer les réseaux de nos différents labels (3615 Domina ; 3615 Sucette ; 3615 Lesbiana ; 3615 Coquine, etc). Leur mission : retenir le plus longtemps possible les utilisateurs devant leur écran afin qu’ils banquent un maximum  (Le minitel se payait à la minute, et très cher, ce qui explique sa disparition prématurée.)
         Or, un matin, le patron me convoque dans son bureau.

         —  Qui est l’animatrice de l’appareil numéro 2 ? me demande-t-il.

         —  Kathia, une brune un peu boulotte.

         —Il faudra l’augmenter : c’est elle qui a fait les meilleurs scores, ce mois-ci.

         — Ah bon ? Vous êtes sûr ? Parce qu’elle ne vient pas très souvent…

         Vexé que sa parole puisse être  mise en doute, il me sort un listing où je peux constater qu’en effet, le minitel n° 2 totalise un nombre d’heures largement supérieur aux autres.

         Voilà qui est surprenant ! Afin d’en avoir le cœur net, je me rends dans le local des animateurs où Olivier, Manuel et Anne-Lise pianotent consciencieusement sur leur clavier. Mais, comme d’habitude, la place de Kathia est vide.

         — Quelqu’un travaille-il sur le numéro 2 ? interrogeai-je ?

         ­­ — Non, répond Olivier.

          — Sauf la petite, de temps en temps, ajoute Anne-Lise. Elle aime bien venir jouer ici.

         — La petite ? Quelle petite ?

         — Ben ta fille !

         Je fais un bond en l’air. Mélanie, âgée de huit ans m’accompagne souvent au bureau, le mercredi. Elle connaît tout le monde et tout le monde l’adore.

         — Vous la laissez toucher aux minitels ?

         — Bien sûr ! Pourquoi on l’en empêcherait ? Elle se débrouille comme un chef.

         ­ — Mais que fait-elle ?

         ­ — Elle raconte des histoires aux utilisateurs, je crois.

         De mieux en mieux ! Un grand vide au creux de l’estomac, je me rue sur le téléphone.

         — Allo, Sylvain, Mélanie est là ?

         — Oui, elle rentre à l’instant de l’école.

         ­— Tu me la passes ?

         — Maman ? fait une petite voix tranquille au bout du fil.

         — Qu’est-ce que tu as fabriqué sur le minitel du bureau ?

         — J’ai parlé avec un monsieur.

         — Et que lui as-tu dit ?
         — Que j’étais une libellule qui volait de fleur en fleur.

         Non, ce n’est pas possible, je fais un cauchemar  ! Ma fille drague les pédophiles !

         — Et lui, il t’a dit quoi ?

         — Que mon histoire était drôlement jolie et qu’il voulait connaître la suite. Il va se connecter mercredi pour la lire.

         Cette fois, la coupe est pleine. Avec un : «  Faut qu’on parle, toi et moi, ma chérie » lourd d’angoisse, je raccroche et fonce à la direction. Parce que bon, nous nageons en pleine illégalité, là. Si la brigade des mineurs nous tombe dessus, je ne donne pas cher de notre peau. Il ne nous restera plus qu’à mettre la clé sous le paillasson !

         Contrairement à ce que je redoutais, le patron prend les choses avec philosophie.

         — Plus question que votre gamine touche à nos minitels, déclare-t-il. En cas de contrôle, ça chaufferait. Par contre, il faut saisir cette opportunité. Dès demain je dépose « 36 15 Libellule » et je lance une campagne d’affichage.

         — Qui l’animera ?  

         —Anne-lise et Manuel... s’ils y arrivent.  Le cul, c’est à la portée de n’importe qui, pas les « jolies histoires ».  Mélanie ne pourrait pas leur donner quelques leçons ?

 

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26 août 2014 2 26 /08 /août /2014 21:01

                                     Dans la plus stricte intimité

 

         Pour les quatre-vingts ans de ma mère, j’avais invité toute ma famille, ainsi que celle d’Alex, à un grand repas champêtre. C’était l’été, nous avions dressé une immense table sous les pommiers, dans le verger attenant à la maison, et l’ambiance, à l’instar de la météo, était au beau fixe — du moins le croyais-je.

Comme mes belles-sœurs et moi mettions la touche finale aux préparatifs du repas, papa se pointa dans la cuisine.

— Je suis bien embêté, me glissa-t-il à voix basse.

— Que se passe-t-il ? 

— Ta mère est en larmes. Elle trouve qu’il y a trop de monde. « Ces gens n’ont rien à faire à mon anniversaire », répète-t-elle sans arrêt.

— Mais… de quels gens parle-t-elle ?

Question superflue dont je connaissais d’avance la réponse. En dépit de mes efforts pour vaincre ses préjugés, maman avait toujours snobé ma belle-famille (qui ne semblait pas lui en tenir rigueur).

— Elle aurait voulu que ce repas de fête se passe dans la plus stricte intimité, reprit papa. Rien que ses enfants et ses petits-enfants, tu vois ? La présence d’ « étrangers » lui gâche son plaisir. Ne pourrais-tu leur demander de partir ?

         J’en restai comme deux ronds de flan.

         — M’enfin, papa, je ne peux pas virer mes invités au moment de passer à table, voyons ! De quoi j’aurais l’air, franchement ? Voilà quinze jours que je prépare ce banquet, j’ai bossé comme une malade pour que tout soit prêt en temps et en heure, et  tu voudrais que je… Non mais ça rime à quoi, ce caprice ridicule ? Elle pourrait au moins respecter mon travail ! En plus, « ces gens-là », comme elle dit, lui ont apporté des fleurs, des cadeaux. Qu’est-ce qu’elle va en faire ? Les foutre à la poubelle ?

         En fulminant, je rejoignis ma mère dans le verger où, telle une reine entourée de sa cour, elle trônait à la place d’honneur.

         — Maman, sois raisonnable. Tu nous auras demain pour toi toute seule, mais en attendant, laisse-toi chouchouter, souris, prends du bon temps. Tu n’es pas contente d’être parmi nous ?

Elle détourna la tête sans répondre. J’insistai :

         — Hé, maman ! Tu m’entends ?

         — C’est sa nouvelle manie, intervint papa : sitôt qu’on dit un truc qui lui déplaît, elle fait la sourde.

Entre-temps, Alex, intrigué par nos conciliabules, s’était rapproché en douce.

         — Y a un problème ?

         Sans mesurer les conséquences de mes paroles,  je lui expliquai de quoi il retournait, ce qui le mit hors de lui. Tel Hulk en pleine métamorphose, il fondit sur l‘octogénaire.

         — Bon, maintenant, ça suffit ! Arrêtez vos simagrées ou vous aurez affaire à moi ! On se coupe en quatre pour vous faire plaisir, et vous, vous nous traitez comme de la merde.  Je vous préviens, ma patience a des limites : je ne  supporterai pas votre racisme puant une minute de plus !

         Épouvantée par la tournure des événements, je m’agrippai au bras de mon mari en le suppliant de se calmer. Peine perdue ! Depuis le temps qu’il souffrait en silence de l’attitude de sa belle-mère, c’était enfin l’occasion de régler leur contentieux. Et cette fois, elle allait l’entendre !

Ben non, elle ne l’entendit pas. Conformément à sa nouvelle tactique, elle demeura impassible, détendue, un brin amusée, même, pendant qu’il lui sortait ses quatre vérités.   

Les hurlements de l’un, le mutisme de l’autre, c’était plus que n’en pouvait supporter l’assistance. Un à un, les invités s’en furent, jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucun « indésirable ». Ma mère allait l’avoir, son anniversaire dans la plus stricte intimité, mais ce ne serait pas moi qui m’en occuperais. J’avais assez payé de ma personne, qu’elle trouve une autre poire.  Assise dans ma cuisine, face au repas intact qui peu à peu refroidissait, aux vins qui se délitaient, aux sauces mitonnées avec amour qui se figeaient,  je sanglotais à fendre l’âme.

         L’arrivée d’Alex, bras-dessus bras-dessous avec papa, m’interrompit.

         —Mon gendre est formidable, déclara ce dernier, la mine réjouie. Il s’est montré à la hauteur de la situation et son petit laïus a bien recadré ta mère. Non seulement elle est en pleine forme, mais elle entend de nouveau et réclame à manger. D’ailleurs, moi aussi, cet incident m’a ouvert l’appétit. Il reste quelques tranches de gigot ?  

En soupirant, je m’empressai de préparer un plateau. Ô douce naïveté des vieillards…

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25 août 2014 1 25 /08 /août /2014 21:13

                                                       Annonciation

 

         Engloutie jusqu’au cou dans un bain parfumé à l’aloe vera, je rêvassais. Et à quoi donc ? Au cadeau du destin qui, depuis quelques mois, illuminait ma vie. À  l’aube de la quarantaine, je filais, en effet,  le parfait amour avec Sylvain, de douze ans mon cadet. Du coup,  je me sentais jeune, belle, désirable ; la vie me souriait, et cet état de grâce m’ouvrait, sur l’avenir, d’ineffables perspectives.

         Tout à coup, on frappe à la porte.

         — C’est Olivier, fait la voix de mon fils. On peut entrer ?

         Je me réfugie sous la mousse.

         — Euh… qui ça, « on » ?

         ­— Ma copine et moi.

         Dans la seconde qui suit, ils sont devant la baignoire.

         ­ — Je te présente Brigitte ; on a quelque chose à t’annoncer.

         Ce petit air suave qu’ils arborent, tous les deux ! Je respire un grand coup avant d’oser demander :

         — Quoi ?

         ­— Tu vas être grand-mère.

         Je manque d’avaler ma langue , et tout ce que je trouve à répondre, c’est un sec  :

         — Ne comptez pas sur moi pour jouer les nounous, j’ai d’autres chats à fouetter ! 

         Serrés l’un contre l’autre, ils repartent en sens inverse, et j’entends nettement Olivier susurrer :

         — Tu vois que ce n’était pas la peine de t’inquiéter. Je la connais, moi,  ma mère  : quand elle prend son bain, elle est toujours cool.

         Chameau, va !

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24 août 2014 7 24 /08 /août /2014 19:29

                                                    Radio libre (bis)


         Avril 1983 vit naître ma troisième émission : Voulez-vous BD avec moi ?  Foin des chansons paillardes et autres gaudrioles, il s’agissait, cette fois, d’interviews en bonne et due forme. Les meilleurs bédéistes du moment se succédèrent dans le studio, y abandonnant souvent, telle une poule son œuf, quelque petit dessin gribouillé sur un coin de table, tandis que nous causions à bâtons rompus — ce qui enrichit de façon substantielle ma collection d’originaux. Margerin,  Petit-Roulet, Shlingo, Ucciani, Serge Clerc, Lefred-Thouron, Siné, Loisel, Ted Benoît, Lucques, Cabanes vinrent tour à tour confier à nos chers zauditeurs, les secrets de leur réussite.

         Or, vu l’essor de la BD en ces années bénies, je n’étais pas la seule à en faire mes choux gras. Deux autres animateurs, Sylvain et Sylvestre,  proposaient, dans un créneau horaire différent, une émission de la même veine : By Jove ! (émission dont j’ignorais tout, car dans ma lointaine banlieue, on ne captait pas Radio Libertaire).

         Ce jour-là, j’avais invité — non sans arrière-pensée — Philippe P. , une étoile montante dont j’appréciais « la patte » tout autant que le charmant sourire. Et comme c’était souvent le cas, nous avions déjeuné ensemble, histoire de préparer plus ou moins l’émission. Force m’est d’avouer, à ma grande honte, que durant le repas, je m’étais lâchée. Moi qui ne buvais jamais, j’avais noyé mon trouble dans un petit muscadet  qui chatouillait la langue et faisait battre le cœur. En gros, j’étais pompette. Mais pas qu’un peu, hein ! Pas juste légèrement grise ! Non, non, je me fendais la gueule comme une vraie lamproie, et chaque mot m’était prétexte à m’esclaffer.

         Allez animer une heure d’interview, dans ces conditions ! Surtout face à un invité qui n’en menait pas large.  (Ai-je omis de préciser que c’était un grand timide ? )

         Très vite, je compris que ce serait impossible. A peine ouvrais-je la bouche que j’explosais de rire, tandis que le malheureux, incapable de répondre à mes questions gloussantes,  se ratatinait sur sa chaise.

         C’est là que Zorro est arrivé. Oui, les miracles existent, j’en suis la meilleure preuve.

         On sonna à la porte. Profitant d’une plage musicale, je courus ouvrir. C’était Sylvain.

         — Ah, tu tombes à pic, toi ! m’écriai-je. J’ai trop picolé, ce midi, et je suis incapable de faire mon émission. Tu ne veux pas me remplacer ?

         Sylvain se mit à rire.

         — J’avais compris, figure-toi. Suffisait de t’écouter ; c’est pour ça que je suis venu. Le problème, c’est que je ne connais pas du tout le travail de Philippe. Pour l’interviewer, ça va être coton !

         Ce le fut, certes, mais Sylvain s’en tira comme un chef. Il nous mitonna aux petits oignons une impro digne d’une diva des ondes.  Du coup, le soir venu, je le ramenai chez moi pour terminer la bouteille de muscadet — et la nuit par la même occasion.
         Désolée pour ceux que ça choque, mais je suis comme ça, moi :  quand on m’éblouit, je ferme les yeux.

  

 

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23 août 2014 6 23 /08 /août /2014 20:44

                                                       Radio libre

 

         En ce temps-là, j’animais, sur radio Libertaire, une émission toute pleine de trucs de filles : Le passe-temps des dames et des demoiselles (comme l’émission-culte de radio Luxembourg, destinée aux ménagères de l’après-guerre, oui, oui, exactement.) Outre le grand feuilleton hebdomadaire Autopsy d’une conne (première version), elle comprenait une rubrique intitulée Au bonheur des smicardes où je refilais toutes mes bonnes adresses de fouineuse fauchée. Des petites annonces bidon, truffées de jeux de mots coquins et d’allusions salaces, ainsi qu’un courrier du cœur moralement répréhensible, rythmaient ce programme ayant pour jingle Les nuits d’une demoiselle de la merveilleuse Colette Renard. Bref, on rigolait bien. (Vu sa rareté sur un média militant d’extrême- gauche, la chose mérite quand même d’être signalée).

         Nous étions trois nanas à la barre de ce navire de dentelle. Au micro, en ma compagnie, Sylvine, dessinatrice de BD engagée. Et, à la technique, Michèle, transsexuelle ostentatoire et féministe. Bref, un trio de choc bafouant ipso facto les codes du bon goût et de la moralité.

         Or, un beau jour, à l’occasion d’une émission ayant pour thème « la lingerie érotique ; esclavage ou liberté ? », notre fine équipe décide de frapper un grand coup.

         — La semaine prochaine, afin d’être en osmose avec notre sujet, nous ferons l’émission en petite tenue, annonçons-nous benoitement.

         C’était un gag, bien sûr — enfin, pas tout à fait. Car mes coéquipières prirent la chose au sérieux, à tel point que Michèle resta torse nu devant sa console (elle avait de jolis seins modelés à coup d’hormones dont elle était très fière). Sylvine, pour sa part, portait une guêpière digne de Betty Page, et des talon aiguilles. Quant à moi, ayant dégoté aux Emmaüs le probable trousseau d’une jeune mariée de la Belle Époque, j’arborais un caraco en soie saumon assorti d’une culotte bouffante, aussi rétro que peu sexy.

         À 12 mn 32 du début de l’émission, la sonnette du studio retentit. Nos auditeurs, à l’évidence, ne se contentaient plus du son ; il leur fallait aussi l’image. Derrière la porte blindée, ça faisait un raffut pas possible. Un certain nombre de mâles en rut nous assiégeait

         —Merde de merde, faut appeler les copains à la rescousses paniqua Sylvine en se ruant sur le téléphone, tandis que, m’emparant du micro, j’exhortais en vain nos assaillants au calme.

         — Qu’ils y viennent, ces cons, ils verront à qui ils ont affaire ! glapit Michèle qui avait fait de la boxe, du temps où elle était mec.

         Les cons n’y vinrent pas, car un commando d’anars purs et durs les en empêcha. Et comme, entre-temps, nous nous étions rhabillées de pied en cap, l’intervention se fit dans un calme relatif. En revanche, qu’est-ce qu’on a entendu , les potines et moi ! 

         — Ce n’est pas Carbone 14 , ici ! gueulait le responsable de la programmation. Le but de cette radio n’est pas d’exciter la libido du  public mais de modeler sa conscience politique. Si vous n’avez pas compris ça, votre place n’est pas parmi nous !  

         Cet incident sonna le glas du Passe-temps des Dames et des Demoiselles. Mais deux mois plus tard, tel le Phénix renaissant de ses cendres, je proposai une nouvelle formule intitulée Ni dieu ni maître, mais des déesses et des maîtresses qui fut acceptée à l’unanimité.

 

         Ma parole, ils y avaient pris goût !

                 

         ­         * Carbone 14 : la plus hard des radios libres.

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22 août 2014 5 22 /08 /août /2014 23:24

                                                  L’ordinatueur

       (Titre emprunté sans vergogne à Christian Grenier qui, je l’espère, ne m’en tiendra pas rigueur.)

 

         Telle que vous me voyez là, mes amis, j’ai tué. Non point le temps, comme on pourrait le croire en lisant mes sornettes, mais une dame virtuelle dont j’avais tout à craindre.

         C’était le début des années 80. J’avais dégoté un boulot de secrétaire  chez un gourou brésilien qui organisait, entre Paris et Rio, des stages de méditation transcendantale pour gens de la haute. Je n’étais, bien entendu, pas conviée à ces week-ends, réservés aux stars, chefs d’entreprise, hommes politiques et autres névrosés pétés de thunes (la nièce de Mitterrand, entre autres) qui constituaient son fond de clientèle. Mon rôle consistait à gérer ses fichiers et à décrypter, en prévision d’un futur livre, ses conférences enregistrées sur magnéto.

         Je passais donc huit heures par jour devant son ordinateur, dans son loft de Beaubourg, un sixième étage moquetté de blanc, avec vue imprenable sur le centre Pompidou.

         Or, dans la liste de ses adeptes se trouvait une personne dont le nom me troubla. Elle s’appelait Sylvie Forêt…

          Etait-ce l’atmosphère de l’appartement qui me perturbait ? Mes efforts pour gérer l’outil informatique encore mal maîtrisé ? Ou fus-je soudain victime d’un délire parano ? Je ne saurais le dire, mais toujours est-il que cette créature bucolique se mit à m’obséder de manière insensée. Je pensais à elle nuit et jour, lui inventais mille visages, mille séductions, mille pouvoirs retors.   

         « Si un jour elle croise la route de Sylvain (dont le nom de famille était « Montagne » NDLA), ce sera forcément le coup de foudre », me répétais-je sans cesse.

         Une telle osmose patronymique ne pouvait être gratuite. De toute éternité, les lois de la nature prédestinaient cet homme à cette femme et vice-versa… 

         « OK, mais qu’est-ce que je fais, moi, dans c’t’affaire , hein ? Je me laisse détruire, les doigts dans le nez ? Non mais sans blague…»

          

         Lorsque Sylvie Forêt disparut du fichier, mon soulagement fut tel que j’en pleurai. J’avais supprimé ma rivale, eh oui. D’un simple clic,  je l’avais rendue au néant. Plus jamais elle ne recevrait les brochures publicitaires de son gourou, et pour ce qui était des stages exotiques, elle pourrait désormais s’en faire des papillotes.

        

        

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21 août 2014 4 21 /08 /août /2014 19:08

                                                      Parking

 

         — Vous voulez voir le cadavre ? propose Frédéric

         Sylvain se marre :

         — Il est où ?

         — Dans la voiture.

         On descend au parking et Fred ouvre son coffre. Une forme humaine enveloppée d’un drap y est allongée, dans la position du fœtus.

         Le drap, retiré, révèle un corps maculé de terre, marbré par les stigmates d’une décomposition avancée, et perforé de plaies sanglantes. Le tout d’un réalisme hallucinant.

         — Excellent ! glousse Sylvain. Il vient de chez Martinier ? Combien ?

         ­— 40.000 euros, mais c’est du bon boulot.

         Et de raconter en rigolant qu’une heure plus tôt, il s’est fait gauler au péage en amenant « la chose » sur le tournage.

         — Encore un peu, je me retrouvais en garde à vue, dis donc. Ils m’ont mis en joue, ces cons de flics ! Heureusement que j’avais la facture avec moi.

         Au même moment, des pas précipités résonnent dans le parking. D’un geste, Sylvain camoufle le macabre accessoire.

         —V’là encore les trouducs du collège d’à côté. Depuis qu’ils ont piqué le bipper de la gardienne, ils descendent tous les soirs et je te dis pas les conneries ! Hier, ils m’ont encore rayé ma portière et dézingué l’antenne radio.

         — Tu devrais laisser ton coffre ouvert, dis-je à Fred. S’ils tombent sur ta passagère, ça leur servira de leçon.

         Rien que d’imaginer leur tête, à ces « bâââtards* » je me tords de rire.

         Dommage que le macchabée en plastique coûte si cher, parce que, mine de rien, ce serait une bonne méthode éducative, je trouve.

                                                                     * à lire avec l'accent banlieue

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20 août 2014 3 20 /08 /août /2014 20:42

                                           

                                      Le coup du parapluie (suite et fin)

 

       Frédéric avait une vingtaine d’années quand il commença à travailler dans le cinéma —  comme accessoiriste, d’abord, puis ensemblier, et, plus tard, chef déco. Un jour, croisant Richard Bohringer sur un tournage, il ne résista pas au plaisir de lui lancer :

         — Bonjour papa !

         Et comme l’acteur restait bouche bée.

         — Je suis le fils de Gudule, précisa Fred avec un grand sourire. Paraît que tu vas jouer le rôle de mon père ?

         Allez savoir pourquoi,  ces deux-là ont illico sympathisé…

 

 

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