Les boules
A la fin des années 80, une amie d’amis me téléphone. Elle vient de terminer un livre et cherche des tuyaux pour le faire éditer. Depuis que je publie, ces sollicitations sont quasi-quotidiennes. C’est fou, quand on y pense, le nombre de gens qui écrivent !
On se retrouve au café d’en bas. Lucy est instit de maternelle depuis plus de vingt ans et, tout au long de sa carrière, a pris des notes. En résultent une centaine de courtes anecdotes, pétillantes et finement observées. Forte de ma propre expérience, je me dis en moi-même : « Personne n’en voudra, de son truc ; c’est trop particulier, y a pas de collections pour ». Mais bon, inutile de la décourager, d’autant qu’elle m’est très sympathique. Avec une légère condescendance, je sors mon carnet d’adresses et lui donne les coordonnées d’une demi-douzaine de maisons d’édition. Puis, hypocritement, je lui souhaite bonne chance.
Trois semaine plus tard, elle me rappelle. Son manuscrit a été retenu par le premier éditeur de ma liste, qui veut le sortir pour la rentrée (nous sommes début juin). J’en reste sur le cul, moi qui patiente au minimum six mois avant d’être lue, et un an, voire deux, avant publication...
Le bouquin paraît — un beau grand format, remarquablement mis en place — et bleum ! une invitation à Apostrophe. Lucy boit du petit lait : trente mille de ventes, direct, et assez de droits d’auteur pour acheter son studio.
C’est ce qu’on appelle toucher le jackpot.
Allez, honnêtement, comment auriez-vous réagi à ma place ?
Ben oui, j’ai eu les boules...