La minute de volupté
Allez, une fois n’est pas coutume : aujourd’hui, je ne vous raconterai pas un événement honteux, mais plutôt une revanche follement jubilatoire.
En 2000, « J’irai dormir au fond du puits », paru chez Grasset-jeunesse, obtient le Prix des Incorruptibles, catégorie collège — un prix honnête, celui-là, puisqu’il est décerné par les lecteurs eux-mêmes. Grosse cérémonie, délégations d’élèves venus d’un peu partout avec leurs enseignants, cocktail, discours, applaudissements, etc.
Soudain, depuis le podium où on me remet ma récompense, qui aperçois-je, parmi la foule ?
André J.
Il était, à l’époque, éditeur chez Hachette, et, au départ, c’était pour lui que j’avais écrit ce roman. Roman qui n’avait pas eu l’heur de lui plaire, puisqu’il me l’avait refusé avec une lettre commençant par : « Gudule, tu m’as beaucoup déçu ». En dénonçant un certain nombre d’actes cruels, commis envers les animaux dans ce qu’on appelle « la France profonde », je me comportais, selon lui, en Parisienne bornée.
— Imagine ce que vont éprouver les lecteurs dont tu critiques ainsi les traditions ? me dit-il. C’est du racisme anti-province.
Or, les votants étaient, à quatre-vingt pour cent, des collégiens de zones rurales...
Pris à partie par des copines auteures, André fut forcé de reconnaître son erreur. Ce qu’il fit, je dois dire, avec beaucoup de fair-play. Mais ce dut être, pour lui, un vrai beau grand moment de solitude...
Moi, par contre, je flottais sur un petit nuage. S’il y a des instants de jouissance intense, dans ce métier, ce sont ceux-là. Instants trop rares, hélas. Car combien de manuscrits injustement décriés ont droit, ainsi, à une réhabilitation publique ?