Mon âme est une porcherie
En 1996, Frayeur s’arrête. Jean Rollin quitte le Fleuve Noir pour les éditions Florent-Massot où il crée la collection « Poche-revolver fantastique ». Après quelques publications (dont l’inoubliable « Je suis venu te dire que je suis mort » d’Olivier Ka), il se retrouve face à un épineux problème. Florent-Massot est un éditeur jeune, avec un lectorat jeune (« Baise-moi », de Virginie Despentes, fait un tabac). Or, ses auteurs à lui — hormis Olivier Ka, mais c’est l’exception qui confirme la règle — ont tous largement dépassé la quarantaine.
— Tu comprends, m’explique-t-il, les débutants ont de bonnes idées mais manquent de savoir-faire, et les vieux, c’est l’inverse. Leurs textes sont bien écrits mais trop classiques.
Ce genre de truc, faut pas me le dire deux fois : j’adore les défis ! Trois semaine plus tard, « Mon âme est une porcherie » trône sur son bureau. Le vocabulaire est très argotique et l’intrigue parfaitement déjantée ; c’est pile-poil ce qu’il cherche pour redorer son blason.
Pas question de le sortir sous mon nom, bien sûr. La genèse de ce roman doit frapper les esprits. Nous mettons donc au point une jolie histoire : ce serait l’œuvre d’une certaine Julie Rivière, récemment suicidée. Son père se serait engagé, sur la tombe de son enfant morte, à le faire publier dans les plus brefs délais.
—Le pauvre hommel pleurait en me le remettant, précise Jean Rollin, qui ne peut s’empêcher d’en rajoute une tonne. Regardez, l’encre de la couverture a coulé... N’est-ce pas pathétique ?
La supercherie met la boîte en ébulition, tout le monde s’arrache le manuscrit et on le programme pour le printemps suivant. Hélas, en février, malgré les ventes faramineuses de « Baise-moi », l’éditeur dépose le bilan.
Ça valait bien la peine de se donner tout ce mal...
« Mon âme est une porcherie » paraîtra l’année suivante aux Belles Lettres où Jean Rollin, ayant repris son envol, a atterri. Il inaugurera la collection « Les anges du bizarre » — sous la signature d’Anne Duguël, cette fois. D’aucuns diront que c’est mon meilleur livre.