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17 juillet 2013 3 17 /07 /juillet /2013 13:05

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16 juillet 2013 2 16 /07 /juillet /2013 17:24

Il y a une trentaine d'années, j'avais écrit un scénario de BD, inspiré de mon adolescence, pour le dessinateur Pierre-Yves Delarue. Ce dernier en a fait une centaine de planches qui ne sont jamais parues... et que nous avons eu envie de vous livrer ici, jour après jour. Certes, elles sont brutes, l'histoire est inachevée, mais comme dirait l'autre, c'est toute une époque.

(Cliquez pour agrandir l'image.)

 

Gudule-01a.jpg

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6 juillet 2013 6 06 /07 /juillet /2013 07:14

Chapitre 130

 


Résumé des chapitre précédents : Enfin, voici la fin du road movies. Le but du périple est atteint. La grande serre du jardin des Plantes. Comme dirait Nora, c’est thérapeutique.

    La guichetière n'est pas d'humeur à plaisanter. Sans un regard, elle glisse le ticket rose par la petite ouverture, encaisse les deux euros réglementaires. Nora remercie, pousse la porte de verre. Aussitôt, des arômes la saisissent à la gorge, si puissants qu'elle en tousse. Lourdes exhalaisons florales, âcres relents d'eau croupie, d'humus, de pulvérulence.
    « Ça sent le sexe », constate-t-elle, éblouie. Et toutes ses nuits chaudes, ses nuits magiques, mirifiques, charlinesques, l'enveloppent. 
    Elle respire à s'en éclater les poumons. Qu'avait dit le toubib, déjà ? Qu'il fallait me traiter comme une fleur de serre. Tout s'explique. Végétale, je suis.
    Enfin, d'après le corps médical. Boris, lui, me comparait plutôt à un insecte : une mygale, une mante religieuse... Et si j'étais tout cela à la fois ? Une plante carnivore, par exemple ? Nora, la menthe religieuse...
    Le jeu de mot ne la fait même pas sourire.
    Ici, dans cette jungle miniature, ça doit proliférer, les hybrides dans mon genre ! Pas étonnant que je m'y sente si bien. Cet espace est conçu pour nous, c'est le royaume de la voracité. Suffit de voir ces liserons cannibales, se gavant de la substance des troncs qu'ils investissent ! Ces orchidées parasites, ces lierres tentaculaires ! Des ogres... Des prédateurs dégorgeant de senteurs, de couleurs, de beauté, bref déployant, afin d'envoûter leurs victimes, une séduction à la mesure de leurs appétits. Bientôt, j'en ai la conviction, ce philodendron géant, ce séquoia, ce manguier, cet eucalyptus qui semblent invincibles rendront l'âme sous leur étreinte. Mais demeureront debout, tuteur de leur assassin. Par eux, la flore mortelle se hissera vers la lumière, et l'on s'écriera : «  Oh, le magnifique arbre ! » sans se douter que ce foisonnement de feuilles, de lianes et de bourgeons n'est que la défroque d'un cadavre.
    Cette évidence remplit Nora de culpabilité. Elle se colle à un tronc, l'entoure de ses bras.
    —  Oh, Charlie, mon Charlie, pardon. Pourquoi m'as-tu laissé te prendre d'assaut, t'étouffer, hein, pourquoi ? Tu n'étais pas responsable de l'accident, je te l'ai dit et répété mille fois : j'aurais traversé, même si tu ne m'y avais pas incitée. Nous étions en retard pour le repas, tu comprends ? Ma mère avait horreur de ça, et moi, j'avais horreur de me faire engueuler. La malchance a voulu qu'une voiture passe juste à ce moment-là.
    Qu'elle me renverse sous tes yeux.
    Que j'y perde une hanche.
    Que, suite à un coma prolongé, je développe une forme de psychose assez banale — parasitaire et infantilisante. 
    Que tu décides de consacrer ta vie à réparer.
    Réparer, ô mon tendre, mon amour, ma victime. Ô naïf. Me prendre en charge. Me traîner derrière toi. Me nourrir. M'allaiter. Me laisser te sucer la moelle jusqu'à ce que mort s'ensuive.
    Mais je me suis ressaisie à temps, heureusement. Les dégâts ne sont pas encore irréversibles. Tu vivras, mon amour. Tu vivras parce que je le veux.     
    D'un geste brusque, définitif, Nora s'arrache à l'arbre qu'elle étreignait, écarte un mur de bambou, un bouquet de pavots, et s'insinue dans la verdure.
    Ça y est, c'est fait.
    — Je suis passée de l'autre côté, Charlie. Là où tu ne pourras pas me rejoindre. Là où je serai seule à jamais. Et autonome. Enfin.
    Autosuffisante.
    Mieux, autarcique.
    Beata solitudo.
    L'instant d'après, elle se déshabille. Nue, elle s'allonge sur le sol, se caresse. Jouit dans une plainte. Puis, lentement, méticuleusement, commence à dévorer le majeur de sa main droite.

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5 juillet 2013 5 05 /07 /juillet /2013 07:16

Chapitre 129


Résumé des chapitres précédents : De guerre lasse, Nora a accepté de passer la nuit à l’hôtel, en attendant le retour de Charlie. Mais elle n’a pas dit son dernier mot !

    Le lendemain, très tôt, Nora règle sa note et prend la poudre d'escampette. Mais, dans la rue, elle se ravise.
    — Excusez-moi, j'ai oublié quelque chose, là-haut.
     On lui rend sa clé, elle remonte. Et, par souci du détail romanesque, marque « Charlie, je t'aime »  sur le miroir de la salle de bains, avec son joli rouge à lèvres vermeil. Puis, après un instant d'hésitation, elle rajoute en-dessous : « O beata solitudo, sola beatitudo » (l'une des maximes favorites de sa mère ; la plus tarte, sans doute. Ou, du moins, la plus mensongère).
    Le XIème, dans le petit jour, c'est à vous couper le souffle. Une lumière horizontale fait resplendir les façades modern-style du boulevard Beaumarchais. À droite, par les rues transversales, on devine le Marais, stagnant dans la brume. Au bout, le génie ailé sur sa colonne — bonjour, l'ange ! On a raté le coche, toi et moi : en d'autres temps, en d'autres lieux,  ç'aurait pu être chouette, nous deux  — , et l'Opéra Bastille, aux mille facettes de diamant.
    Les premiers cafés commencent à ouvrir. Nora en repère un pas trop naze, dont les chaises sont encore renversées sur les tables. Pas grave, rester debout ne me fait pas peur. Elle s'accoude au comptoir, commande un crème et réfléchit. De quoi Boris m'a-t-il accusée, hier ? Ah oui, de sadisme. Ce type est bien tel que je l'avais perçu au premier abord : une fieffée canaille. J'aurais dû lui casser la gueule. 
    Mais ne ressassons pas, le café refroidit.
    Elle boit, se sent tout de suite mieux. En commande un second, mais dans la salle, cette fois. Puis, vers neuf heures, le temps étant radieux, elle ramasse son sac, direction Austerlitz.
    Le jardin des Plantes est ouvert. Dedans, personne ou peu s'en faut. Quelques élèves de l'école d'horticulture qui binent les plates-bandes, un grand-père qui nourrit les pigeons sous le panneau Interdiction de nourrir les pigeons  et les appelle par leurs prénoms, la propreté de Paris qui balade son mange-crottes. Un chien sans maître flaire le pieds des arbres avec circonspection.
    Une fois de plus, je me suis laissée guider par mon instinct, constate Nora. Il sait toujours parfaitement ce qu'il fait, c'est un grand manipulateur. Il m'amène direct où il veut que j'aille.
    Devant la grande serre, très exactement.
    C'est thérapeutique.
    — Un aller simple, s'il vous plaît.

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4 juillet 2013 4 04 /07 /juillet /2013 07:30

Chapitre 128


Résumé des chapitres précédents : Rien à faire : en dépit des exhortations de Boris, Nora refuse de capituler. Elle n’est pas programmée pour la marche arrière. Elle a décidé de quitter Charlie et ne reviendra pas sur sa décision, quoi qu’il arrive.

    — Alors, reste chez moi en attendant son retour, décrète Boris. Que vous puissiez au moins vous expliquer de vive voix !
    Nora fait non de la tête. Non, non. L'œil affolé.
    — Je suis gay, répète-t-il, se méprenant sur son refus. Les filles ne me font pas triquer.
    — Ce n'est pas ça...
    —  C'est quoi, alors ?
    Geste fataliste. Je ne sais plus où j'en suis mais je ne veux pas céder. J'en mourrai, si je cède, tu entends ? j'en mourrai.
    — Tu ne peux pas m'obliger, se contente-t-elle de murmurer.
    En désespoir de cause, Boris sort quatre billets de cinquante euros et les lui tend.
    — Tu vois l'hôtel, là, dans la rue Amelot ? Le Ma-jong. Tu vas y prendre une chambre. Je préviens Charlie.
    Nora repousse sa main.
    — Non, merci. C'est bien gentil, mais non.
    — Pourquoi ?
    — J'ai jamais mendié, je vais pas commencer à mon âge.
    Soupir exaspéré.
    — Ce fric, je le dois à ton mari. Vous faites bourse commune, à ce qu'il me semble ?
    Ah, dans ce cas, c'est différent. Elle prend le trésor, le glisse dans son blouson.
    — Le Ma-jong, hein ! insiste Boris en le montrant du doigt. Ne te trompe pas d'adresse !
    Nora acquiesce, sort sans se retourner.
    Traverse la place, se dirige vers l'hôtel, se sachant observée.     Docilement, elle entre, se présente à la réception, signe le registre. On lui donne une clé. La voilà chez elle. De toute façon, Charlie et Boris ne se parleront pas avant demain matin : les postes sont fermées. J'ai la nuit devant moi.
    Elle se déshabille, fait couler un bain. Envisage un instant de se noyer mais y renonce — trop commun, comme suicide, trop sordide. Se résout à apprécier cette halte forcée, cette parenthèse de luxe, calme et volupté. Laisse l'eau chaude amollir ses chairs, détendre ses muscles. Ferme les yeux. Et profite de l'instant.

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3 juillet 2013 3 03 /07 /juillet /2013 07:38

Chapitre 127

Résumé des chapitres précédents : La discussion entre Boris et Nora vire au règlement de compte. Ça, c’était à prévoir !
 
    — Cinq ans d'âge mental ! lâche Boris, de l'extrême sommet de son mépris.
    Il la toise sans complaisance. 
    — Tu vas me faire le plaisir de l'appeler tout de suite !
    — Où ?
    — À Auxerre.
    — On n'a pas le téléphone.
    — Alors, écris-lui, envoie-lui un télégramme, préviens les voisins, je ne sais pas, moi, mais ne le laisse pas comme ça !
    La tête de Nora oscille de gauche à droite, non, non, pas question. Voilà trois jours que je lutte pour couper le cordon, et tu voudrais que je me dégonfle ? Que tous mes efforts soient réduits à néant ?
    — T'es une malade, constate Boris. Une malade dangereuse.
    — Ben quoi, tu l'as bien quittée, toi, ta femme ! Vous quittez tous vos femmes, vous, les artistes !
    — Ça n'a rien à voir, moi, je suis gay.
    Les yeux de Nora s'arrondissent.
    — Toi, tu... ?!
     — Oui. Mon mariage était une erreur de jeunesse. Quand on l'a compris, Hélène et moi, on s'est séparés d'un commun accord. Aujourd'hui, je vis seul, et ce n'est PAS un choix professionnel (il appuie à dessein sur le PAS). Tu crois peut-être que ces deux-là (du menton, il désigne Flip et Galapia, à la table voisine) ont remis leurs couples en question pour si peu de chose ? 
    — J'ai vu la femme de Galapia, elle n'avait pas l'air malheureuse, reconnaît Nora.
    Tout est si embrouillé dans sa tête qu'elle soulève sa tasse vide, la porte à ses lèvres, et boit consciencieusement du vent.
    — Que comptes-tu faire, maintenant ? s'enquiert Boris, impitoyable.
    Pas de réponse.
    — As-tu au moins une adresse, un endroit où on peut te joindre ?
    Non, fait Nora de la tête.
    — Demain, quand ton mari m'appellera, qu'est-ce que je lui dirai ?
    Nora l'ignore.
    — Tu te seras de nouveau volatilisée, c'est ça ?
    Oui. Aucun doute là-dessus.
    — Invraisemblable ! éclate Boris, en abattant son poing sur la table.
    Un soupçon l'assaille.
    — Tu as quelqu'un d'autre ?
    Une fraction de seconde d'hésitation. La tentation effleure Nora de prétendre que oui. Histoire de couper court à la discussion. De réconforter Charlie par procuration. Une nana qui fugue avec un amant, c'est banal, rassurant. On la traite de salope et basta. Dites-moi, dites-moi, mère, qu'elle est partie pour un autre que moi, mais pas à cause de moi, dites-moi ça, dites-moi ça... Doux alibi de l'adultère. 
    Elle nie, néanmoins. Ce mensonge-là serait au-dessus de ses forces.

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2 juillet 2013 2 02 /07 /juillet /2013 06:43

Chapitre 126



Résumé des chapitres précédents : Ça, pour une engueulade, c’est une belle engueulade ! Boris reproche à Nora de tuer Charlie à petits feux. Alors qu’elle ne cherche qu’à lui rendre sa liberté. Décidément, ce mec ne comprend rien à rien !
 
    Boris a des yeux d'un noir insoutenable.
    « Comme ceux de Florida, tiens je n'avais pas remarqué, mais la ressemblance s'arrête là. Des yeux d'une lucidité effrayante qui vous vrillent des trous dans le cerveau. »
    — Arrête ton cinéma, Nora ! Tu joues un personnage et tu le sais bien. Électre, Antigone, ça te plait de parader sous ces oripeaux de martyre, hein ! C'est valorisant, c'est spectaculaire ! La volupté du sacrifice... Et en même temps, tu te venges. D'une pierre deux coups.
    Sous la véhémence de l'accusation, Nora reste sans voix. Ce qui laisse tout loisir à Boris de poursuivre :
    — Plutôt que de t'effacer un peu, d'être un peu moins envahissante, tu as préféré sortir de scène avec fracas...
    Il serre les mâchoires comme s'il voulait mordre. D'instinct, Nora s'écarte.
    — Je t'ai traitée de mante religieuse, un jour. J'avais tort. Tu es pire. Les mantes dévorent leur mâle dans un excès de passion, toi, tu le tortures froidement. Tu...
    — Mais, coupe Nora, horrifiée, je... je n'avais que de bonnes intentions. Je n'ai pensé qu'à lui, je te jure ! J'ai fait table rase de moi-même, pfuit, plus de Nora, vas-y, Charlie, t'as des ailes ! On ne peut quand même pas me le reprocher.
    — N'essaye pas de te donner le beau rôle, s'il te plaît, c'est trop facile. Tu sais ce que tu es ? Un monstre d'égoïsme, et je pèse mes mots. La plus abominable femelle possessive qu'il m'ait jamais été donné de rencontrer !
    Nora a un haut-le-corps
    — Enfin, Boris, c'est toi-même qui m'as dit...
    — Moi, je t'ai dit de disparaître dans la nature, sans  une explication, sans donner la moindre nouvelle ? Moi, je t'ai dit de dézinguer ce pauvre type qui t'adore ? Moi, je t'ai dit ça ?
    — Tu as dit sangsue, pleurniche Nora.
    — J'aurais dû dire vipère ! Mygale à crochet !
    — Oh !
    — Tu serais capable de pousser le vice jusqu'à te flinguer, pour l'achever.
    « Ça, c'est vrai, monsieur le Juge, mais pas pour l'achever, pour qu'il m'oublie plus vite. »
    Et, dans son trouble, Nora ne se contente pas de penser cette phrase. Elle la prononce.


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1 juillet 2013 1 01 /07 /juillet /2013 10:32

Chapitre 125

 

Résumé des chapitres précédents : A force de guetter Charlie, Nora a fini par trouver Boris. Et il n’est pas content. Pas content du tout !

    — Parlons-en, de Charlie ! explose Boris. Il est fou d'inquiétude, il te cherche partout.
    —  Ah ? Je...
    — Il est retourné à Auxerre dans l'espoir de t'y retrouver.
    Le cœur de  Nora s'emballe.
    — Chez nous ?
    Puis elle réalise que trois cents bornes les séparent, et se met à pleurer. Du coup, Boris se radoucit.
    — Qu'est-ce qui t'a pris ? interroge-t-il, presque compréhensif. Pourquoi tu as disparu sans crier gare ?
    L'heure des explications a sonné. Nora s'essuie les yeux.
    — C'est ta faute.
    Le grand beau visage de Boris marque la surprise. Il fronce ses grands beaux sourcils.
    — Ma faute ?
    — C'est toi qui m'as dit que je lui bouffais la vie, que j'étais une sangsue, que les femmes et le business, c'était incompatible. Tu m'as traitée de mante religieuse, rappelle-toi. Alors, je suis partie pour qu'il ait toutes ses chances.
    — Mais bougre de petite idiote, t'as vraiment rien compris ! Je ne t'ai jamais poussée à le démolir, ton mec ! Valait encore mieux que tu le becte, à la rigueur !
    Il se rapproche, tout près, plus près, son nez à quelques centimètres de celui de Nora.
    — Tu le verrais, il n'est plus que l'ombre de lui-même, il chiale sans arrêt !
    Nora n'en croit pas ses oreilles.
    « Il m'aime à ce point, mon mien ? Au point de chialer, tout ça ? C'est vrai, c'est bien vrai ? Non, on exagère. On exagère sûrement ! »
    Regard terrible de Boris.
    — C'est ce que tu cherches ? Le tuer à petits feux ?
    « Oh non, monsieur le Juge, je ne lui veux aucun mal, j'en fais le serment sur la Bible. Je ne désire que briser ses chaînes, lui retirer ses menottes, lui crier vas-y, envole-toi vers le sucès, ton boulet est au diable ! »


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30 juin 2013 7 30 /06 /juin /2013 08:32

Chapitre 124



Résumé des chapitres précédents : À la terrasse du Bar du Cirque, Nora guette la sortie des Grumeaux, dans l’espoir d’apercevoir son sien. 

    Une heure et quelques plus tard, le spectacle se termine. Nora scrute à s'en décoller la rétine le public qui reflue à présent par les portes grandes ouvertes.
    « Charlie est là, il est là, je le sais. Le tout est de ne pas le louper. C'est si peu de chose, un homme dans la foule... »
    Après une première fournée très dense, le flot se fluidifie, puis se clairsème. Les derniers retardataires traînaillent en discutant. La caissière ferme derrière eux.
    Pas de Charlie.
    Pas le moindre Charlie.
    Pas le plus petit atome, le plus petit soupçon de Charlie.
    Du fond de sa déception, Nora admet que c'était à prévoir. Elle avait oublié un détail : tous les théâtres ont, à l'arrière, une sortie des artistes  dont la fonction est claire : éviter aux vedettes de se mêler à la cohue et d'être harcelés par leurs admirateurs.
    Par leurs femmes, aussi.
    Ces harceleuses.
    Ces empêcheuses d'exister.
    Ces briseuses de talents.
    Ces boulets, ces chaînes, ces mantes religieuses.
    — Nora ? Que fais-tu ici ?
    Elle sursaute. À travers ses yeux brouillés de larmes, elle ne l'avait pas vu venir.
    — Boris !
    Lui-même, en chair et en os. Encadré par ses deux acolytes, Flip et Galapia, plus un troisième, l'imprésario sans doute. Ou le régisseur. Ou un simple copain.
    — Installez-vous,  je vous rejoins, leur lance-t-il.
    Il s'avance vers Nora et s'assied à sa table. Elle ne sait plus où se fourrer.
    — Charlie n'est pas avec vous ? demande-t-elle dans un souffle.



                      


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29 juin 2013 6 29 /06 /juin /2013 09:35

Chapitre 123

 



Résumé des chapitres précédents : Les Grumeaux passent au Cirque d’Hiver, mais Nora n’a pas de quoi payer sa place. La caissière, qui a pitié d’elle, lui propose d’appeler Charlie pour qu’il la fasse entrer gratuitement. Transie d’effroi, elle dit oui.
 
    — Dis donc, coco, tu peux me trouver les Grumeaux ? Y a quelqu'un pour Charlie à la caisse.
    Cette simple phrase suffit, à tirer Nora de sa torpeur.
    « Mais qu'est-ce qui me prend? J'ai perdu la boule ou quoi ? » 
    — Laissez, crie-t-elle, ce n'est pas la peine, j'ai autre chose à faire.
    Et elle file à l'anglaise.
    — Qu'est-ce qu'il y a comme resquilleurs, en ce moment, soupire la caissière.
    « Le voir. Le voir ne serait-ce qu'une fraction de seconde, mais que lui, surtout, n'en sache rien. L'observer à travers un miroir sans tain, ou la tête levée vers les tréteaux, lui sous les projecteurs et moi dans l'ombre. Quand j'étais petite, à la procession, le curé  trimbalait Dieu dans un ciboire d'or. Et quand il passait, on baissait la tête. Si on l'avait relevée intempestivement, sûr, les divins rayonnements nous auraient aveuglés. Alors, on fixait nos chaussures, le cœur battant, pétris d'une bonne humilité jouissive. Par après, en athée convaincue, j'ai craché sur ce rituel. Mais vu les circonstances, j'aimerais assez le remettre au goût du jour. À condition, bien sûr, que Charlie remplace Dieu. Moi, à genoux parmi les fidèles, lui, auréolé de gloire, surplombant ces nuques, dont la mienne, inclinées. Oui, franchement, ça me botterait... »
    Une sonnerie, venue de l’intérieur du théâtre, interrompt les pensées de Nora.
    « Le rideau va s'ouvrir, réalise-t-elle. Heureux spectateurs ! Charlie est peut-être à l'avant-plan. Ou dans les coulisses. Ou dans la salle, déguisé en n'importe qui, pour un de ces dialogues truqués dont les clowns ont le secret. Comment l'ont-ils intégré au spectacle ? Avec ou sans Germaine ? Rôle important ou secondaire ? Une petit séquence intercalée entre les leurs ou une longue intervention en parallèle, tu fais ton numéro, nous le nôtre et le spectateur se débrouille ? »
    Sur la place déserte, elle tape des talons.
    «  Si j'allais m'acheter des cigarettes ? Je ne suis pas fumeuse mais, dans ma situation, ouvrir le paquet, en tirer une clope, la mettre dans ma bouche, gratter l'allumette, enflammer le tabac, tirer une bouffée, souffler la fumée et recommencer, me serait d'un grand réconfort. Certains gestes rendent l'attente moins sinistres, surtout lorsqu'on n'espère rien. Les spectateurs rient, je les entends d'ici. Que leur montres-tu, mon amour ? Germaines et ses hideurs ? Jongles-tu avec des œufs ? Joues-tu Plaisir d'amour  sur le petit violon ? Et le poney, le poney, dis, lui as-tu appris à faire des claquettes ? 
    « Tu es là, Charlie, à quelques mètres de moi. Tu t'exhibes. La salle pouffe. Et moi, je tourne en rond sous les platanes — les trois pauvre platanes urbains qui n'ont d'arbres que le nom. J'ai froid. Je voudrais m'asseoir. Avec huit euros soixante-dix, l'accès aux théâtres m'est interdit, mais ai-je encore droit aux troquets ? »
    Elle a. Bénis soient-ils.
    « Lequel vais-je choisir ? » 
    Le Bar du Cirque, placé juste en face de l’entrée principale. D'ici, peut-être pourra-t-elle apercevoir les clowns, ne serait-ce qu’une fraction de seconde, au moment où ils s'en iront ? 
    — Un café, s'il vous plaît.

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