Le paillasson sanglant
Mirlitaine était une chatte tarée. Mais vraiment, hein ! Une bête shootée aux médocs — elle s'enfuyait de l'appartement pour aller sniffer sous la porte du toubib d'en-dessous — et aux mégots qu'elle mangeait gloutonnement, cendres comprises. D'ailleurs, c'est pour ça qu'on nous l'avait refilée : les copains à qui elle appartenait ne supportaient plus ses manies.
Ayant toujours vécu en appartement, Mirlitaine n'avait jamais connu de mâle, au sens biblique du terme. Or, voilà-t-y pas que lors d'un week-end à la campagne, elle rencontre un matou qui lui fait son affaire. Mes fils — quatre et sept ans — étaient ravis. Des chatons à la maison, pensez ! Jamais ventre fécond ne fut plus caressé, papouillé, tripatouillé, mesuré même avec l'impatience que l'on devine. Mirlitaine en redemandait, pâmée, énorme, ronronnante, l'œil révulsé de bonheur. Et vint le terme.
Ce matin-là, j’étais seule avec elle. Elle ne me lâchait pas d'une semelle, ce qui est souvent le cas des chattes prêtes à mettre bas. N'ayant jamais vécu la chose, j'ignorais tout de son déroulement. Mais, confiante dans la nature et l'instinct animal, je ne me sentais pas réellement concernée. J'avais tort.
Au début, tout se passa normalement : la chatte se léchait avec insistance puis, par moment, se redressait et poussait de toutes ses forces. Enfin, après moult efforts, elle éjecta le premier chaton, et là…
Là, elle péta les plombs. Horrifiée par cette chose qui lui sortait elle ne savait trop d'où, elle se mit à courir dans tout l'appartement, traînant derrière elle son malheureux rejeton brinqueballant au bout de son cordon. Sans doute cela lui donnait-il l'impression d'être poursuivie, car, sa panique allant crescendo, elle commença à grimper aux rideaux, à se jeter contre les murs, à bondir de table en fauteuils et d'armoire en bibliothèque. Et moi, affolée, au bord des larmes, je la poursuivais en implorant : « Du calme, Mirlitaine ! Du calme ! »
Le cirque a duré… oh, facilement dix minutes. Jusqu'à ce qu'un contraction plus forte que les autres la débarrasse du placenta. Dès lors, libérée de son "poursuivant" — qui, par miracle, survécut à l’aventure —, elle retourna dans son panier.
Incapable d'assumer seule un (ou plusieurs) remake(s) de l'événement, je courus appeler ma voisine de palier à la rescousse. C'était compter sans le "vice" de la chatte qui, sitôt la porte ouverte, se rua sur le paillasson du toubib où, dans un snif homérique, elle éjecta les deux autre occupants de son utérus. Je n'eus que le temps de ramasser la marmaille grouillante avant l'arrivée des premiers clients, car c'était l'heure des consultations. Je vous laisse imaginer la tête de ces derniers, en enjambant le paillasson sanglant pour pénétrer dans le cabinet médical !