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3 décembre 2013 2 03 /12 /décembre /2013 07:55

 

 

                                                              DES RIRES DANS LA NUIT

 

         Allongée dans le noir, j’écoutais le chant des grenouilles montant de la vallée, en fredonnant intérieurement  cette chanson de mon enfance :

 

                          La nuit est limpide

                          L’étang est sans ride

                          Dans le ciel splendide

                          Luit le croissant d’or

 

                          Orme, chêne ou tremble

                          Nul arbre ne tremble

                          Au loin le bois semble

                          Un géant qui dort

 

                          Chien ni loup ne quitte

                          Sa niche ou son gîte

                          Aucun bruit n’agite

                          La terre au repos

 

                          Alors, dans la vase

                          Ouvrant en extase

                          Leurs yeux de topaze

                          Chantent les crapauds…

 

         Ce fut au milieu du dernier couplet que les rires éclatèrent. Des rires parfaitement incongrus dans le contexte. Je m’arrêtai de respirer. Le village, peuplé en majorité de gens âgés, est toujours silencieux, la nuit…

         Dans l’ombre bruissante, ces rires — issus, bien sûr, de mon imagination —  semblaient me narguer. Me revinrent en mémoire d’autres hallucinations auditives qui, depuis quelques mois m’assaillaient régulièrement. Une rumeur de pluie, entre autres, qui, même par temps sec, m’emplissait les oreilles dès que je fermais les yeux. Ou la sensation qu’un groupe de personnes discutait sous ma fenêtre sans que je puisse comprendre ni de qui il s’agissait, ni de quoi ils parlaient. Bien qu’intriguée, je n’avais pas vraiment prêté attention à ce brouhaha interne (qui évoquait pour moi le titre d’une autobio de Steven Tyler : « Est-ce que le bruit dans ma tête vous dérange ? »). Mais là, il s’agissait de tout autre chose. Pas d’un murmure diffus qui vous hante presque à votre insu ; plutôt de la bande son d’un cauchemar… 

         En gros, ces rires surgis de nulle part me donnaient la chair de poule.

         Ils m’épouvantaient littéralement.

         C’était la quintessence de ma réalité altérée ; la preuve indéniable que je perdais la boule.

         J’allais céder à la panique quand la voix de Castor me chuchota à l’oreille :

— On ne s’ennuie pas dans ton village, dis donc !

Ce fut comme une main m’arrachant à l’abîme.  Une bouée dans l’océan d’effroi où je sombrais.

—Tu… tu entends, toi aussi ?

  Evidemment : une bamboula pareille, faudrait être sourd !

La reconnaissance me jeta contre lui, et nous fîmes l’amour comme jamais.

 

              J’appris le lendemain que les copains de Yohann — le jeune bûcheron mort dans la forêt —  lui avaient rendu ce dernier hommage, ma foi fort émouvant : une promenade nocturne dans les rues qu’il aimait. Ces rires soulageaient la tension nerveuse qui les oppressait depuis des heures. Ce fut, je le suppose, leur ultime manière de communiquer avec lui, par-delà les paroles et par-delà les pleurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                              

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2 décembre 2013 1 02 /12 /décembre /2013 07:22

 

 

                                                                MAUVAIS SCÉNAR

 

         Sur ces entrefaites, l’hôpital nous « libéra ». Devant mes demandes réitérées, le chirurgien, estimant sans doute mon milieu familial plus restructurant que l’environnement hospitalier, s’était laissé convaincre. Castor me ramena donc chez moi le samedi suivant, avec armes et bagages.

         Une triste nouvelle m’y attendait : l’un de mes copains, un gosse de vingt-cinq ans rayonnant de joie de vivre, avait succombé trois jours plus tôt à un accident de bucheronnage, en forêt. Tout le village assistait à son enterrement.

         Là, le mauvais scénar devenait franchement merdique.  A tel point que, de prime abord, je refusai d’y croire. Mais le glas qui sonnait me mit les points sur les « i ». Et aussi le fait que les rues soient vides, puisque tout le monde était au cimetière…

         D’autre détails —  même s’ils semblent dérisoires en regard de ce drame  — vinrent, si besoin était, étoffer mon « Mauvais scénar » (qui, d’ailleurs ne vit jamais le jour) : ma maison puait. Le café au lait, dont je me gavais d’habitude, était devenu d’une amertume insoutenable. Une tornade semblait avoir balayé mes placards dans lesquels je ne retrouvais rien.  Quant au temps… ah là là, le temps ! Ce mois de juin, avec ses faux airs de Toussaint — crachin, ciel nuageux, vent glacial, lumière morne —  s’inscrivait dans la continuité de l’éprouvant hiver qui durait depuis neuf mois. Une morte saison en plein été, dans la région censée être la plus chaude de France…

 

 

 

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1 décembre 2013 7 01 /12 /décembre /2013 07:56

 

 

                                 PETITS ARRANGEMENTS AVEC LES MORTS (SUITE)

 

         Shabazz aussi, je lui parlais. Enfin, je l’engueulais.  Parce que bon, s’être suicidé six mois avant le décès de Sylvain, c’était d’un goût plus que douteux, je trouve.

         —T’es vraiment le roi des égoïstes ! l’apostrophais-je mentalement. Tu étais sans arrêt en train de m’appeler au secours, et quand j’ai eu besoin de toi, macache !

         Shabazz (de son vrai nom Alain) était l’un de mes plus vieux complices. Notre amitié datait des années 70. Nous nous étions croisés à la rédac’ de « Fluide glacial » où il posait pour un roman-photo sous le pseudo de « Mantegazziani ». C’était lui qui m’avait initiée à l’homosexualité masculine, faisant de moi, à jamais, une fervente pasionaria de la cause gaie. Des bars du Marais aux défilés rocambolesques de la Gay Pride, nous avions arpenté bras-dessus, bras-dessous tous les lieux équivoques de Paris. Les musées également, ainsi que les théâtres, les salles de concert, les cinémas d’art et d’essai, les galeries de peinture, les librairies, car Shabazz avait la création dans le sang. Sculpteur, plasticien, photographe, musicien, et surtout écrivain à l’imagination caustique et sans limites, ce touche-à-tout de génie (incapable, par ailleurs d’exploiter ses talents) traînait depuis quelques années une vie déliquescente dans les faubourgs de Toulouse. Hormis les interminables coups de fil qu’il me passait un soir sur deux, et, de temps à autre, un week-end au village, il fuyait ses semblables, cloîtré dans son studio tel un bernard l’hermite au fond de sa coquille.

 

         En claquant la porte une bonne fois pour toutes, il m’avait privée, moi qu’il prétendait aimer, du réconfort de son affection — ce qui, à mes yeux, justifiait amplement ces reproches.

         Vengeresse, je glapissais, en mon for intérieur :

         — Si t’avais attendu un peu, crème d’andouille, je te signale qu’on aurait pu le faire, ce fameux voyage à Vienne dont tu rêvais depuis si longtemps ! Et j’aurais passé un hiver moins sinistre. Mais bon, quand on s’en fout de ce qu’éprouvent les autres…

 

         Il ne m’a jamais répondu, l’animal. 

         Les morts, ce n’est pas communicatif.

 

         Tout compte fait, je préfère les vivants.

 

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30 novembre 2013 6 30 /11 /novembre /2013 07:42

 

 

                                 PETITS ARRANGEMENTS AVEC LES MORTS

 

 

         Il m’arrivait aussi de parler à Sylvain :

         — C’est toi qui me l’as envoyé, n’est-ce pas ? Mais où tu l’as dégoté, celui-là ? Dans quel Au-delà, quel paradis ? Sur quelle planète ? Il est pas humain, je te jure. Même quand j’étais jeune et belle, personne aurait fait ça pour moi. Alors, tu penses, maintenant que je suis vieille et chauve…

 

         Vieille, chauve, et qui plus était,  totalement paumée. Car non seulement mon univers avait perdu toute logique, mais j’étais convaincue que je ne pourrais plus jamais écrire. Faut dire, mes tentatives  dans ce domaine s’étaient soldées par de cuisants échecs, si bien que j’avais renoncé à utiliser mon ordinateur, dont je ne maîtrisais plus les paramètres (la connexion internet de l’hôpital avait engendré des conflits que, même en temps normal, j’aurais été incapable de gérer). Et malgré les efforts de Castor pour recréer des interfaces à ma portée, j’étais aussi perdue devant mon écran que trente ans plus tôt, lors de mes premiers balbutiements informatiques. A tel point que je décidai — chose que je n’avais pas faite depuis des siècles — de me remettre au cahier-stylo. Ainsi gribouillai-je une vingtaine de pages illisibles où, à force de brasser mes terreurs,  je répétais en boucle les mêmes clichés bidons.

         L’infâme brouet finit à la poubelle, et, histoire de prendre un peu de recul, je tentai d’élaborer une nouvelle sarcastique, intitulée « Mauvais scénar ». Car, à la réflexion, ce qui me frappait le plus, dans cette affaire, c’était le manque de talent du (ou des) scénariste(s). Jamais j’aurais osé écrire une daube pareille, moi ! Il n’y avait que les scènes d’amour qui tenaient la route, mais bon, c’est le B A BA  du métier, ça…

 

                                             

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29 novembre 2013 5 29 /11 /novembre /2013 07:58

 

                                                                    VISION CÉLESTE

 

         A dater de ce jour, une image m’obséda. Celle de deux compagnons marchant main dans la main vers un horizon sans limite. L’un ailé, bien sûr, et moi, reconnaissable à ma tignasse bouclée.  Par la suite, dans chaque  homme que j’ai aimé, j’ai perçu l’ange tapi. Sauf que cette fois, je n’étais pas la seule…

 

         Allez, je me permets une petite digression ; une distorsion du temps. Ce fut mon amie Elsa qui, peu après notre retour au village, me mit la puce à l’oreille.

         — Gaffe, Michel, on voit tes ailes ! lança-t-elle en riant à Castor  (dont le nom officiel est celui d’un archange ; bonjour la coïncidence ! )       

         Je me retournai et j’eus un choc. Le soleil qui auréolait ses cheveux d’argent et nimbait de lumière sa mince silhouette lui conférait un indéniable aspect céleste. Me revinrent en vrac mes émotions de fillette, et je me sentis rougir. C’est à cet instant, je crois, que, moi, l’athée virulente, je pardonnai à ma mère l’embrigadement extrême dont j’avais fait l’objet. Juste pour cette vision, ce coup au cœur ébloui…

 

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28 novembre 2013 4 28 /11 /novembre /2013 08:15

                                       COMMENT LA DÉVOTION VIENT AUX FILLES

 

         J’ai longtemps craint qu’en raison de notre lien de parenté, Cousin Jean m’ait été attribué d’office comme ange gardien. D’autant que maman en rajoutait une louche :

         — Il est assis à la droite du Seigneur, répétait-elle : c’est la place des saints Innocents. De Là-Haut, je suis sûre qu’il veille sur sa famille. Prie-le le plus souvent possible afin qu’il te protège des tentations et garde ton âme bien pure.

         Houlà ! Moi qui rêvais d’un beau protecteur androgyne (et adulte) comme sur les chromos de l’école maternelle…

         Ainsi bousille-t-on, sans y prendre garde, une sensualité  en  plein éveil.

         Dieu ! Que j’ai prié  avec ferveur, à cette époque !

         —Mon Dieu, je vous en supplie, donnez-moi un autre ange gardien que Cousin Jean, il est vraiment trop moche (j’avais vu sa photo).

         Le divin Entremetteur dut m’exaucer car, vers trois ou quatre ans, l’ange à grosse tête dodelinante déserta mes pensées, remplacé par une sorte de Peter Pan disneyen dont je tombai illico raide-dingue. Dès lors, je n’eus de cesse d’en remercier le Ciel, ce qui me valut une réputation d’enfant pieuse dont mes parents, légitimement,  s’enorgueillirent.

 

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27 novembre 2013 3 27 /11 /novembre /2013 07:35

 

                                                           DU CÔTÉ DES CHÉRUBINS

 

         Cousin Jean, âgé de trois semaines, était « monté au ciel » la veille de ma naissance. De sorte que le télégramme de félicitations envoyé à ma mère par son frère et sa belle-sœur fut libellé comme suit : «  Petit ange Jean nous a quittés hier stop bienvenue à petit ange Anne »

         La similitude de dates qui faisait de moi, en quelque sorte, la remplaçante du disparu, me troubla longtemps. Et comme j’étais curieuse, je n’eus de cesse de découvrir les causes de ce décès qui me touchait de si près. Mais mes questions se heurtèrent aux fantasmagories et aux superstitions de mon entourage. Selon certaines sources, le nourrisson devait sa mort prématurée à la maladresse d’une bonniche indigène qui l’aurait fait tomber de la table à langer. Détail horrible : la chute, en déplaçant une vertèbre cervicale, aurait bouché le canal rachidien, provoquant une hydrocéphalie dont la description me transissait d’effroi. De sorte que non content d’être un ange à grosse tête, Jean était également un monstre à petites ailes, ce qui, tout bien pesé, ne valait guère mieux.

 

         Une autre version incriminait la quinine dont mon oncle et ma tante, qui vivaient dans les colonies, faisaient un usage intensif. Selon Le Dictionnaire médical du ménage moderne que je m’empressai de consulter, cette saine habitude, censée préserver les organismes européens de maladies telles que la malaria, la fièvre jaune et le béribéri, était à l’origine de nombreuses malformations congénitales.

 

         Il y avait également l’option « sorcellerie ». digne des meilleurs passages de Tintin au Congo.  Celle-là n’était abordée qu’à l’issue d’un repas bien arrosé et généralement à voix basse. Les mots « envoûtement », « magie », « malédiction », « maléfices » couraient de bouche en bouche telles des obscénités, et l’on hésitait à les prononcer tant ils étaient chargés de paganisme barbare.

 

 

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26 novembre 2013 2 26 /11 /novembre /2013 06:41

 

                                                SU’L’TROTTOIR, J’AI RENCONTRÉ

                                                UN ANGE DESCENDU DES CIEUX

                                                SU’L ‘TROTTOIR, J’AI RENCONTRÉ

                                                 UN BEL ANGE AUX YEUX BLEUS

 

                                                                     Boby Lapointe (L’Ange)

 

         Le soir même, nous réintégrâmes notre chambre, Castor et moi. Bien que sa présence fût le meilleur des antidotes,  l’effarante impression de décalage persistait. Je regardais cet homme tendre, empressé, toujours calme, toujours souriant, qui avait mis sa vie en stand by par amour, et je me disais : «  Ce n’est pas possible. Des êtres aussi parfaits ne peuvent pas exister. Il fait forcément partie du jeu de dupes. Ou alors, c’est un de mes personnages, conçu sur mesure pour les besoins de l’intrigue. »

         — Tu es sûr que tu es vrai ?  lui demandais-je parfois — ce qui le faisait rire.

         Il m’assurait que oui, confirmait d’un baiser.

         «  Et si c’était mon ange gardien,  matérialisé pour l’occasion ? »,  me disais-je encore.

         Ça a toujours été mon trip à moi, les anges. Une espèce de conditionnement maternel — ma mère était folle de religion —, très tôt dévoyé par ma « mauvaise nature », comme elle disait. En fait, du plus loin que je me souvienne, j’ai fréquenté ces créatures astrales, d’une beauté immatérielle et aérienne. Jusqu’à penser (ô sacrilège !) que le nid velouté placé entre mes jambes leur était destiné en exclusivité.

         La faute en incombait sans doute à Cousin Jean…

 

 

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25 novembre 2013 1 25 /11 /novembre /2013 08:38

                                                                  LE GRAND FLIP

 

         Ce fut au lever du jour, perceptible par la fenêtre où, lentement, les ombres nocturnes se diluaient, qu’un doute horrible me saisit. Le côté gauche de ma bouche était paralysé. J’avais beau essayer de grimacer, de sourire, les muscles de la commissure restaient inertes. Transie jusqu’aux os, je voulus appeler l’infirmière de garde, mais la sonnette avait glissé entre la table de chevet et le lit ; sans lunettes, j’étais incapable de la récupérer. Il me fallut donc attendre que le personnel de service débarque de lui-même, une bonne heure plus tard. Heure que, bien entendu, je mis à profit pour flipper un max. Déjà qu’on m’avait rasé un demi-crâne et que la chimio allait se charger du reste ; si, en plus, j’étais défigurée…

         L’arrivée d’une stagiaire m’extirpa, par bonheur, de mon cauchemar éveillé.

         — S’il vous plaît, regardez-moi bien, suppliai-je. Mon visage n’est pas déformé ?

         Elle m’assura que non. Méfiante, je réclamai un miroir ; comme il n’y en avait pas, elle me photographia avec son téléphone. Bien que je ne pusse apercevoir qu’une vague forme sur l’écran, ce geste complaisant me rassura quelque peu. Ce qui ne m’empêcha pas de guetter les visites sur des charbons ardents.

         Castor et Olivier, accourus aussitôt qu’on leur donna le feu vert,  confirmèrent : hormis le gros pansement qui m’enturbannait (et sur lequel les infirmières, par facétie, avaient enfilé une sorte de chapeau de shtroumpf en coton bleu), j’avais ma tête habituelle. J’en profitai pour refuser la pompe à morphine : je préférais douiller physiquement que moralement.  Tout compte fait, c’était plus supportable…

 

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24 novembre 2013 7 24 /11 /novembre /2013 07:38

 

 

                                                                  TOTAL RECALL

 

 

 

         Je n’ai pas la mémoire des chiffres. De sorte qu’au réveil de l’anesthésie, quand on me demanda quel numéro appeler pour rassurer mes proches, je fus incapable de répondre.  Castor, qui s’était fait éjecter de la chambre dès mon entrée au bloc, ayant embarqué toutes nos petites affaires — y compris mes lunettes et mon téléphone portable —, je ne pus donner que mon fixe et celui de Mélanie. Manque de bol, les conditions climatiques déplorables rejaillissaient sur la connexion internet du village, si bien qu’aucun des deux ne marchait. Il fallut donc attendre le matin pour que ma p’tite famille puisse joindre le standard de l’hôpital.

         En attendant, j’étais bel et bien éveillée, et je pétochais grave. L’impression terrifiante de ne plus être soi-même, vous connaissez ? Je crois n’avoir jamais rien éprouvé de pire. Ce n’était pas tant le fait qu’on m’ait tripatouillé le cerveau — ça, après tout, c’était juste une vue de l’esprit : je n’avais mal nulle part et je ne me sentais même pas abattue. En revanche, je ne reconnaissais rien. Cette salle de réa  où je stagnais dans une demi-conscience hallucinée m’évoquait les décors des livres de Philippe K. Dick. J’étais, comment dire ?  Passée de l’autre côté, voyez ?  Dans un univers parallèle qui ressemblait au nôtre,  mais en décalé. La juxtaposition approximative entre cet ersatz de réalité et la réalité réelle laissait transparaître la supercherie. Ces infirmières, qui entraient de temps à autre sur la pointe des pieds vérifier les cadrans,  n’étaient que des robots ; des androïdes programmés pour me leurrer. Leurs allées-et-venues silencieuses en attestaient : elles ne marchaient pas, elles se déplaçaient en apesanteur  à quelques centimètres du sol. L’on m’expliqua plus tard que ce délire paranoïaque — particulièrement aigu chez quelqu’un dont l’imaginaire, depuis tant d’années, barbotait dans les eaux troubles du fantastique et de la SF — était dû à l’anesthésie, ainsi qu’à la morphine qu’on m’avait injectée pour calmer la douleur.

 


 

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   - Et ça vous fait rire ? Les univers de K. Dick et les hostos, c'est bonnet bleu et bleu bonnet.

 

 

 

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