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31 juillet 2014 4 31 /07 /juillet /2014 23:10

                                                 Cry, baby

 

         On fait parfois d’étrange rencontres, dans les salons. En 1998, à Montreuil ,  je dédicaçais au stand Hachette quand une jeune femme s’approche de moi et, sans préambule, fond en larmes. Devant mon ahurissement (et celui de mes collègues), elle déclare, d’une voix hoquetante :

         — Excusez-moi, c’est l’émotion. « La Bibliothécaire » m’a bouleversée au-delà de tout. C’est le livre que j’aurais rêvé d’écrire. Vous rencontrer, c’est comme rencontrer une autre moi-même idéale…

         Bien embarrassée, je l’invite à prendre un café à la buvette, histoire qu’elle se remette, mais rien à faire : elle pleure, pleure, pleure sans discontinuer. Et pendant ce temps-là, devant mon stand, la file s’allonge… Je finis quand même par m’esquiver, nantie de ces précieux renseignements : elle s’appelle Bérénice, est documentaliste dans un collège de la région  parisienne, et c’est la première fois qu’elle se comporte ainsi.

         La première mais pas la dernière, car l’année suivante, rebelote. En pleine signature, elle se pointe devant moi et éclate en sanglots. Autour de nous, tout le monde ricane en se chuchotant des trucs à l’oreille. Je n’ai d’autre choix que d’emmener Bérénice à la buvette, où elle me réexplique les raisons de son émoi.

         Elle me les réexpliquera encore en 2000, où la même scène se reproduit à l’identique, puis en 2001, de sorte qu’en 2002, je prends les devants. Au risque de passer pour une frimeuse, j’explique aux quatre auteurs présents ce qui risque de se produire, et ça ne loupe pas : Bérénice déboule comme les autres années. Mais cette fois, elle a les yeux secs, et dégage même une certaine agressivité.

         —  Je suis terriblement déçue, me lance-t-elle de but en blanc. J’ai lu « L’amour en chaussettes », c’est très mauvais. Vulgaire, démago, sans inspiration.  Vous avez sali votre image. Je n’ouvrirai plus jamais un seul de vos livres.

         Ça a bien rigolé, ce jour-là, au stand Hachette !

 

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30 juillet 2014 3 30 /07 /juillet /2014 21:43

C'est vrai qu'ils sont charmants, tous ces petits villa-a-ages / Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités /Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs pla-a-ages / Ils n'ont qu'un seul point faible et c'est d'être habités… (Brassens) 

 

         Chaque année, c’est le même cirque. L’hiver, tout le monde se plaint : le village est mort, morne, triste, vide ; on s’y ennuie à mourir. Vivement l’été qui ramène les vacanciers, remplit les terrasses des cafés, peuple les chemins de randonnée et anime les rues de cris et de rires ! Puis, au fur et à mesure que  les semaines passent, la grogne s’installe : il y a trop de bruit, trop d’agitation, trop d’enfants, de voitures, d’étrangers ; on n’est plus chez soi. Vivement l’hiver qu’on se retrouve enfin entre nous !

         Et le cycle infernal recommence…

         Cette année-là, pour des raisons aussi aléatoires qu’inexplicables, la tension était à son comble .  Des bagarres de chiens ne cessaient d’éclater, suivies de leur corollaire : les engueulades des maîtres. Marcel, notre Nougaro local, qui répétait dans son jardin au son de l’orgue de Barbarie, se fit agresser par une voisine dépressive. L’allumé de service hurla des mantras pour couvrir leur dispute, perturbant un groupe de touristes qui s’enfuirent en courant, les mains sur les oreilles. Les vieux qui jouaient aux cartes sur la place de l’église, houspillèrent les gamins qui roulaient à vélo et confisquèrent le ballon de deux footballeurs en herbe. L’épicerie, pourtant fort accueillante, fut le théâtre de psychodrames d’une rare violence.

         «  Que se passe-t-il ?  me demandais-je , témoin navré de ces débordements. D’où provient ce regain d’asociabilité ? Est-ce l’actualité qui leur monte à la tête ? La coupe du monde ? Le tour de France ? A moins que… Des déferlements d’ondes cosmiques, peut-être ? Comme dans les bouquins de SF… »

         La réponse vint d’en-haut. Un tract municipal incriminant les pigeons dont les fientes bouchaient les gouttières, souillaient  les façades et rongeaient les fils électriques, fut distribué dans les boîtes aux lettres. C’étaient ces «  rats ailés », les responsables de la névrose ambiante. Dès lors, on fit appel à une société de chasse pour éliminer le fléau, ce qui, non seulement  mit le village à feu et à sang, mais donna à ses habitants une nouvelle raison de s’écharper : les défenseurs des animaux contre les partisans de la solution ultime. S’ensuivirent des échanges d’insultes, des menaces verbales, des lettres anonymes, des pétitions, des dénonciations crapuleuses, des règlements de compte publics, prélude à une période d’accalmie relative que tout le monde apprécia,  fût-ce au prix d’une trentaine de petites vies sacrifiées.

         Décidément, l’humain ne changera jamais. Si vis pacem para bellum —même quand ce sont les êtres les plus inoffensifs qui en font les frais…

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29 juillet 2014 2 29 /07 /juillet /2014 22:10

                               Accouchement sous X

 

Bon, la provo, j’aime ça, ce n’est un secret pour personne. Un soir de 1977, avec quelques copains, nous décidons d’aller au cinéma. Reste à choisir le programme. Chacun y va de sa  suggestion ; perso, j’opte pour un film de boules.

        — Dans ton état ? s’effare Alex. Je te rappelle que tu es enceinte de huit mois.

         Justement ! Outre le fait que la situation m’amuse par son petit côté transgressif,  j’ai un rêve secret : accoucher dans un ciné porno, comme d’autres dans un taxi ou un Boeing 707. Ce serait si rigolo à raconter, plus tard, à l’enfant à venir !

         Faisant fi des réticences du futur père, nous voilà donc partis. Le Brady n’est pas loin ;  c’est un très chouette endroit malgré sa programmation de chiotte. Les potes se marrent comme des baleines tandis que j’arpente les travées de velours rouge, le ventre en avant et cambrée à l’extrême.

         On s’installe ; la séance commence. Sur l’écran, les acteurs s’activent. Dans la salle, les spectateurs se concentrent.  Et moi, tiraillée par un méchant mal de dos, je cherche désespérément une position  confortable sur un siège qui ne l’est pas du tout.

         Bref, tenaillée par les crampes, je me tortille en soupirant, ce qui n’échappe pas à mon voisin de derrière. Tout émoustillé par ce qu’il prend pour de l’excitation, le voilà qui  commence à haleter en cadence,  l’œil vrillé sur ma nuque.

         Oups, d’un seul coup, je trouve la situation nettement moins marrante. Par chance, Alex a perçu mon malaise et me propose de rentrer à la maison, ce que j’accepte avec soulagement. 

         En me voyant me lever, énorme et titubante, puis m’éloigner au bras de mon mari, le type a dû débander illico, je suppose. D’autant que, sans me vanter, le film était très nul.

 

         J’ai accouché la semaine suivante, en clinique comme tout un(e) chacun(e). On ne peut pas toujours être à la hauteur de ses ambitions !

        

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28 juillet 2014 1 28 /07 /juillet /2014 22:01

                                                 Le dogme de l’hormone

 

         Il y a une quinzaine d'années, quand les premiers symptômes de la pré-ménopause sont apparus, j'en ai, comme tout le monde, informé mon toubib. Réaction immédiate :

         — Je vais vous prescrire des hormones.

         Je refusai, arguant que mon état, n'étant pas une maladie, ne nécessitait, à mes yeux, aucun traitement.

         —  Cela vous évitera les bouffées de chaleur, sautes d'humeur, et autres désagréments spécifiques, argumenta le médecin.

         — Je compte gérer tout cela comme une grande, et sans aide extérieure, répondis-je.

         S'ensuivit une discussion houleuse : mon entêtement absurde, affirmait l'homme de l'art, outre son aspect masochiste, risquait, à terme, de me mener tout droit à l'ostéoporose.       

         — Vous verrez, dans vingt ans, quand vos os casseront comme du verre, me menaçait-il. Nous avons le moyen de prévenir ce fléau, et vous le refusez ? Quelle aberration !

         C'est tout juste s'il ne me reprochait pas de "faire du mauvais esprit" comme lorsque, chez les sœurs, je remettais en cause les préceptes moraux qu'on voulait m'inculquer.

J'ai changé de gynéco. Rebelote. Ils s'étaient tous donné le mot — ou plutôt étaient inféodés aux mêmes laboratoires dont ils suivaient aveuglément les directives, à savoir : fourguer de gré ou de force la progestérone de synthèse à leur clientèle. Et je peux vous assurer qu'il faut une sacrée dose de pugnacité pour résister  à une pareille coalition ! (Surtout quand on n'a à opposer aux arguments de "ceux qui savent" que cette valeur passéiste : le simple bon sens.)

Les choses en étaient là quand je me foulai la cheville. C’était le week-end et, ma généraliste étant absente, je me rendis chez un médecin de garde qui, au vu de mon âge, remit la prise d'hormones sur le tapis. Or, c’était un fanatique. Tel le  prédicateur cherchant à tout  prix — fût-ce celui d’arguments fallacieux— à convertir une mécréante, le voilà qui s'emporte, nous accusant, moi et mes semblables (rares, heureusement) d'être responsables du trou de la sécu. Rien moins ! En bref : je ne voyais pas plus loin que le bout de mon nez, et mes coupables caprices, outre le fait de m’auto- fustiger, sanctionnaient également la collectivité. En refusant de me plier au dogme du médoc, je faisais preuve non seulement d'inconscience mais aussi d'incivisme.

Comme le procès d'intention commençait à me gonfler, j'ai coupé court et suis partie, en boitillant, acheter une crème contre les foulures chez le pharmacien.

Aujourd'hui, on ne compte plus les cancers du sein induits par ces fameuses "hormones de confort". Les autorités sanitaires parlent d’un millier de victimes par an. Et les mêmes praticiens qui, jadis, prescrivaient à tout va cette redoutable panacée, la proscrivent à présent de manière aussi formelle.

— Et le vapeurs, docteur ? Les sautes d'humeur ?

— Vivez avec.

— Et l'ostéoporose ?

— Consommez des laitages, des yaourts, du soja.

Excellents conseils, mais un peu tardifs, hélas ! Le mal est fait. Combien de vies bousillées par nos apprentis-sorciers de service ? Après l'hormone-cancer, la pilule anti-cholestérol qui provoque des arrêts cardiaques, les anxiolytiques qui poussent au suicide et le vaccin de l'hépatite B qui déclenche des scléroses en plaque, que nous réserve, comme prochaines joyeusetés, le dictat des laboratoires pharmaceutiques ?

Molière n'est pas loin, qui affirmait que l'on guérit, non grâce à la médecine, mais malgré elle.

 

 

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27 juillet 2014 7 27 /07 /juillet /2014 20:11

                                    L’honneur des Aussine

 

         L’un de nos voisins, monsieur Aussine, chasseur notoire, était l’heureux propriétaire d’une chienne boxer jolie comme tout. Une bête charmante, affectueuse, prénommée Reine, que mes enfants prenaient plaisir à caresser à travers le grillage entourant son jardin.

         Il avait également une fille de seize printemps qui allumait gentiment tous les gars du quartier.

         Non loin des Aussine vivait un vieux garçon que nous  surnommions Professeur Tournesol et qui, lui aussi, possédait un chien : un sympathique bâtard, gueulard et court sur pattes, que mes enfants prenaient plaisir à caresser, à travers le grillage entourant son jardin

         Le décor est planté, venons-en aux faits.

         Quand Reine eut ses chaleurs, le bâtard en transes creusa un trou sous la clôture pour aller la rejoindre, et ce qui devait arriver arriva.

         Voyant sa chienne couverte par un mâle qu’il jugeait indigne d’elle, monsieur Aussine prit un coup de sang. Plutôt que d’intervenir pacifiquement, il courut chercher son fusil et tira dans le tas. L’amoureux s’effondra, tué net, tandis que sa partenaire, blessée à la tête, fuyait en glapissant.

         Des riverains, témoins de la scène, avertirent Tournesol qui porta plainte. Bien qu’ayant perdu son procès — intenté par  la SPA — , le tueur clama haut et fort que si c’était à refaire, il recommencerait. Pas de mésalliance dans sa famille ; il y allait de l’honneur des Aussine.

         — Imagine la réaction de cet abruti si sa fille se retrouvait enceinte d’un des petits Maghrébins de la cité, disait Alex. Je ne donne pas cher de sa peau !

         Or, ce fut le cas. Quelques mois plus tard, nous vîmes avec effroi s’arrondir le bedon de la jeune fille.

         Notre premier réflexe fut d’alerter les flics, histoire d’éviter un bain de sang. Et ce, jusqu’au matin où je croisai un 4X4 avec, à son bord, deux hommes en treillis et casquette orange : le père Aussine et son futur gendre, armés de pied en cap.

         «  Ils vont aller s’entretuer dans la forêt, supposai-je, horrifiée. Et tout le monde croira à un accident… »

            Je sortais mon portable pour appeler le commissariat quand je les entendis rire. Je m’étais plantée, une fois de plus : ces deux-là s’entendaient comme larrons en foire, et aucun meurtre n’était à l’ordre du jour.  La société de chasse y gagna une recrue, et l’abruti un pote. Quant à moi, je rengainai vite fait mon téléphone.       

         J’avais failli rater l’occasion de me taire !

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26 juillet 2014 6 26 /07 /juillet /2014 22:49

                                              La glacière

 

         L’anticonformisme n’est pas toujours de tout repos, même dans les petits détails de la vie quotidienne. L’une de mes nièces ayant pété la fermeture-éclair d’un sac réfrigérant Ben & Jerry’s, je le récupérai.

         — Il  me servira de sac de plage, expliquai-je. Et comme l’intérieur est plastifié, ce sera l’idéal pour les serviettes humides.

         — Tu vas être ridicule, me prévint ma nièce en riant. A ton âge, détourner les objets… ! Tu ne préfères pas que je t’en offre un vrai, de sac de plage ?

         —Pas question, celui-là me plaît beaucoup. Il est très rigolo avec ses taches de vache.

         Faisant fi des avis de la jeune génération, j’enfournai mon foutoir dans le sac en question.

         Mal m’en prit. Quelques jours plus tard, comme je passais à la caisse du Leclerc de Gaillac :

         — Veuillez ouvrir vos poches plastique, demanda la vendeuse d’un air suspicieux.

         Je m’exécutai de bonne grâce. Depuis que les supermarchés ne fournissent plus leurs propres emballages, il y a, paraît-il, recrudescence de vols.

         — La glacière aussi, s’il vous plaît. 

         — Ce n’est pas une glacière, c’est mon sac à main, protestai-je. Vous n’avez pas le droit de fouiller le sac des clients.

         — Mais leurs glacières, si !

         Bien que Michel, qui rangeait les courses dans le caddie,  fît chorus avec moi, la caissière ne voulut rien entendre. Elle se conformait aux  instructions de sa direction, point barre. S’ensuivit une discussion assez vive, au terme de laquelle j’exigeai :

         — Appelez-moi le directeur du magasin !

         Dix minutes plus tard, un homme grassouillet nous rejoignait, suivi d’un vigile en bonne et due forme.

         — Madame refuse d’ouvrir sa glacière, expliqua la caissière.

         — Ce n’est pas une glacière, c’est mon sac à main.

         — Non, madame, c’est une glacière, intervint le vigile. Nous vendons les mêmes au rayon surgelé.

         — Peut-être, mais j’ai bien le droit d’utiliser une glacière comme sac à main, si ça me chante. Et dans celle-là, il y a mes effets personnels.

         —Alors, laissez-nous vérifier.  

         La controverse eût pu durer longtemps, mais la file d’attente commençait à grogner, si bien que, d’un geste rageur, je retournai mon « sac » sur le tapis roulant, éparpillant pêle-mêle son contenu : un sweat de rechange, une boîte de Doliprane, trois stylos à bille, mon porte-monnaie, ma pochette carte bleue-carte vitale-chéquier, mon agenda, une ordonnance médicale, des Kleenex usagés, un tube de gel lubrifiant à moitié entamé, mes lunettes de secours, des pastilles pour la toux, une paire de chaussettes sales — bref le bordel intime d’une sexagénaire un tantinet foutraque.

         Tandis que mes interlocuteurs survolaient le tas d’un œil mou, j’affirmai haut et fort —pour que tous les clients l’entendent :

         — Je ne mettrai plus jamais les pieds dans ce magasin de merde !

         Puis, ramassant vite fait mes petites affaires, je tournai les talons et m’éloignai dignement, escortée par la voix pragmatique de la caissière :

          — N’empêche qu’une glacière, c’est pas un sac à main !

         Dont acte.

 

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25 juillet 2014 5 25 /07 /juillet /2014 21:44

              Ô mes petites amoureuses

         Que je vous hais !

                                      (Arthur Rimbaud)

 

         Je les avais surnommées Daisy et Cochonnette, allez savoir pourquoi. Pure méchanceté de ma part, sans aucun doute. Car si la seconde, rose et potelée, faisait honneur à son sobriquet, sa copine, en revanche,  ne ressemblait en rien à la fiancée de Donald Duck— hormis, peut-être, des talons hauts un peu trop larges et un frétillement excessif du croupion. Qu’importe, d’ailleurs ? Je les détestais. Pourquoi ? La raison ne me fait pas honneur : j’imitais simplement ma mère.

         — Voilà les coureuses de curés, disait-elle en les suivant des yeux,  tandis que, bras-dessus, bras-dessous, elles se dirigeaient vers le presbytère.

         L’expression me faisait frémir, pour ce qu’elle suggérait de désirs sacrilèges, de débordements charnels, de mal à l’état brut. D’autant que maman s’en gobergeait avec une complaisance suspecte.  Elle n’était pas la seule, d’ailleurs : l’épicerie, dont la proximité avec l’église faisait un excellent observatoire, servait de  QG à une poignée de bigotes à la langue bien pendue. C’était à elles, je le compris par la suite, que Daisy et Cochonnette devaient leur sulfureuse réputation. Nouvellement installées dans le quartier, ces deux quadragénaires étaient vite devenues la cible favorite de toutes les médisances. Ce qu’on leur reprochait ? Leur assiduité au confessionnal, les jours où officiait notre nouveau vicaire, un jeune prêtre flamand frais-émoulu du séminaire de Gand… C’est peu, me direz-vous, mais largement assez pour que courent sur elles les bruits les plus abjects.

         — Elles sont arrivées en même temps que lui, précisaient les commères, qui n’en étaient pas à un mensonge près.  Ce sont des Gantoises, ça  s’entend à leur accent. Elles l’ont poursuivi jusqu’ici, et ne cessent de le harceler. Le pauvre garçon ne peut pas faire trois pas sans qu’elles lui collent au train.

         Et d’énumérer les circonstances — vraies ou imaginaires — où s’étaient affichées les manigances des pécheresses.

         —A la procession, avez-vous remarqué comme elles le regardaient ? J’en étais gênée pour lui ! Et à la communion, dimanche dernier ? La plus grosse a  ouvert une vraie bouche de vicieuse pour qu’il y mette l’hostie.  Comment voulez-vous, dans ces conditions, qu’il résiste à la tentation ?  C’est un homme, après tout.

         De l’avis général, Cochonnette était sa maîtresse, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Leur familiarité ne datait pas d’hier…

         Maman, qui se faisait l’écho de ces ragots, nous les rapportait fidèlement. Elle en rajoutait même quelques-uns de son crû, que je gobais avec avidité et m’empressais de colporter à mon tour.

         A la longue, papa en eut marre.

         —Il y a trop de cancans autour de cette affaire, décréta-t-il. Je veux savoir la vérité.

         Et  plutôt que de prêter l’oreille aux racontars, il s’adressa au principal intéressé — c’est-à-dire le vicaire lui-même.

         La réponse de ce dernier remit les pendules à l’heure. Cochonnette n’était pas sa maîtresse, mais sa sœur. Quant à Daisy, il l’avait connue au couvent où il était aumônier, et elle novice. Ayant rompu ses vœux pour cause de dépression, elle s’était retrouvée dans une grande solitude. Pris de pitié, il l’avait confiée à sa sœur qui, depuis, lui servait à la fois de tutrice et de compagne.

 

         Cet émouvant récit eût dû, en toute logique, clore le bec aux commères. Mais l’être humain étant ce qu’il est, un nouveau bruit, encore plus croustillant,  remplaça aussitôt l’ancien : les deux femmes étaient des lesbiennes. Dès lors, des petits rires égrillards s’élevèrent sur leur passage  et on ne les surnomma plus que « Broute-minou ».

 

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24 juillet 2014 4 24 /07 /juillet /2014 22:26

                                       Mensonge d’une nuit d’été

 

         Rien n’allait plus, entre Alex et moi. Après une quinzaine d’années de vie commune, la routine, les petits désaccords et les problèmes de fric avaient eu raison de notre amour.  Du coup, j’étais en manque, et compensais mes frustrations en rêvassant comme une ado.

         Cet été-là, invités par des amis qui vivaient dans les Cévennes, nous logions sous la tente au beau milieu d’un bois. Or, pure coïncidence, nos hôtes traversaient, eux aussi, une crise de couple, de sorte que Jérôme, bûcheron de son état, fuyant le domicile conjugal, s’était aménagé un logement sommaire dans la petite cabane où il rangeait ses outils. Il n’en fallait pas plus pour que mon imagination galope… Mettez-vous un instant à ma place : Alex dormait, moi pas. Assise devant la tente, je fumais en écoutant les murmures de la nuit et,  telle Lady Chatterley,  émoustillée par le brame d’un garde-chasse en rut, j’imaginais Jérôme avec son torse brun, ses épaules musclées, sa barbe de trois jours, tournant dans sa cabane comme un lion en cage. Si on ajoute à ça les lueurs de la pleine lune qui filtraient entre les branchages, le chant des grenouilles dans l’étang voisin,  et le hululement feutré des hiboux, rien ne manque au décor. Rien… sauf les protagonistes :  la lady Chatterley à la petite semaine (c’est-à-dire moi) et le bel animal qui faisait battre son cœur.

         Il fallait sans tarder réparer cette lacune. Perdant toute retenue, je me glissai furtivement dans la végétation pour gagner à pas de loup la clairière de l’esseulé. 

         Par chance, une lanterne suspendue à un arbre m’en indiquait l’emplacement  (sans quoi, je me serais sûrement perdue dans le noir). Se trouvait-elle là à mon intention ? Je me plus à le supposer. 

         « Jérôme a-t-il deviné mes sentiments ? me demandais-je, en proie à un émoi qui allait crescendo. Les partage-t-il ? Attend-il ma visite dans la fièvre du désir, prêt à m’ouvrir les bras dès que j’apparaîtrai ? »

           J’en frissonnais d’avance, m’efforçant de zapper la somme d’emmerdements à laquelle  m’exposerait cette escapade nocturne si elle venait à se savoir.  (Alex était jaloux et la femme de Jérôme, encore plus).

         Parvenue au terme du périple, j’hésitai longuement. Que faire ? Suivre mon impulsion et gratter à la porte, quitte à bousiller deux ménages ? Ou attendre sagement le lever du jour pour regagner ma tente, sans m’être livrée à de folles débauches ?

         Le dilemme fut cruel, les tergiversations nombreuses et virulentes, mais au terme d’un combat douloureux, le bon sens triompha. L’aube me trouva couchée auprès de mon mari .

         — Vous avez bien dormi ? s’enquit Jérôme, en nous apportant le café. Moi, je n’ai pas fermé l’œil : une bête a rôdé autour de ma cabane la moitié de la nuit. J’ai même failli lui tirer dessus, parce que les sangliers pullulent, dans le coin, et un cuissot au barbecue, miam ! Mais quand je suis sorti, elle avait disparu. Tant mieux pour vous, remarquez : les coups de feu vous auraient certainement réveillés !

 

         Nom de nom, un peu plus, je prenais du plomb dans la cervelle !

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23 juillet 2014 3 23 /07 /juillet /2014 21:47

                                     Vos gueules, les critiques !

 

         Je vous entends d'ici : « Mais on ne peut pas refuser les critiques, voyons ! Elles sont constructives ! » Ah bon ? Première nouvelle.  Et elles construisent quoi, s'il vous plaît ?         

         Celui qui crée se met en danger. Il dénude son âme et offre ses tripes à tout venant. S'autoriser à cracher dedans, c'est constructif ?

         Toute opinion étant, par essence, subjective, à quelle sorte de "constructivité" peut-on prétendre ? Le critique s'attend-il à ce que l'auteur, à la lueur fulgurante de ses remarques, découvre enfin sa voie ? Qu'il se renie subitement, après cette Révélation ? Bref, qu'il modifie sa propre perception des choses au profit de celle d'un inconnu ? Et pourquoi cet inconnu-là plutôt qu'un autre ? Il y a autant de subjectivités que de lecteurs ; où irions-nous si chacun d'entre eux apportait son grain de sel "constructif" à l'édifice ?

         En fait, qu'est-ce que la critique, si on y réfléchit ? Un acte de sadisme gratuit, le plus souvent. La vengeance de celui qui, pour une raison qui lui est propre, ne s'est pas "retrouvé' dans une œuvre et le fait payer à son auteur, acculant ce dernier à deux extrémités : encaisser en silence (en feignant une indifférence dont personne n'est dupe), ou se justifier (depuis quand un auteur doit-il "justifier" ce qu'il crée, comme s'il s'agissait d'un délit ?). Dans les deux cas, "l'accusé" morfle, et salement.

         Je ne vois vraiment rien de constructif là-dedans !

         Récemment, lors d'une animation en province, une documentaliste a cru bon de me remettre, sous forme de rédactions, quelques critiques d'élèves de quatrième. J'étais à même d'assumer ça, n'est-ce pas ? C'est insensible, un écrivain ; caparaçonné comme un chevalier du Moyen-Age ! Et quand un gamin de 14 ans se permet de lui jeter au visage, avec la bénédiction de ses enseignants : « Votre livre est dénué de tout intérêt, aussi bien dans l'histoire, mauvaise, que dans le style, enfantin.  Quand on ne sait pas écrire, on change de métier », ça lui glisse dessus ! Ben voyons...

         Je tiens à préciser que, dans ce cas de figure, je ne mets pas les gosses en cause. On leur  dit : « Allez-y ! », ils y vont, et avec l'inconscience de leur âge. C'est le manque de discernement des adultes, leur octroyant le droit de piétiner aussi allègrement le travail d'autrui, qui me sidère.

         Et je ne parle pas des affligeants articles de ces mêmes adultes, s'improvisant journalistes pour vomir leur fiel dans des revues "inter C.D.I." comme il en naît aujourd'hui par dizaines, aux quatre coins de la France !

         « Mais alors, si on ne peut ni le critiquer ni le sanctionner, que fait-on d'un livre qu'on n'aime pas ? » me direz-vous. Ce qu'on veut. On le referme, on le fiche à la poubelle, on se torche avec au besoin. Mais on ne le renvoie pas dans la tronche de l'auteur.  Ça, c'est inacceptable. Vous trouvez une œuvre ennuyeuse, incompréhensible, malsaine, sans intérêt ? N'en parlez pas. Votre silence sera aussi éloquent qu'une bordée d'insultes, mais fera moins de dégâts. J'ai connu des génies tués dans l'œuf par des paroles malveillantes. Des gens bourrés de talent qu'une critique imbécile a fait taire à jamais...

         Alors, par pitié, que vous soyez gamin, journaliste, libraire  ou enseignant, un peu de modestie : votre vérité n'est pas universelle, elle ne concerne que vous. Si un livre (ou un film, ou une pièce de théâtre, ou un tableau... la liste n'est pas exhaustive) ne vous plaît pas, OUBLIEZ-LE. Laissez-le vivre sa vie en-dehors de vous, sans vous ériger en juge ou en censeur. Cette attitude se nomme le respect, et ça, au moins, c'est constructif !

 

 

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22 juillet 2014 2 22 /07 /juillet /2014 23:06

                         Joyeux anniversaire ! (suite du chapitre 33)

 

         Le lendemain, lorsque la famille, les amis, les voisins  (et le gâteau) débarquèrent à la maison, Michel, armé d’une scie et d’un marteau, s’échinait à remettre  le sommier branlant sur ses quatre pieds. L’œuvre s’acheva sous les applaudissements, et sitôt que  notre lit fut opérationnel, tout le monde entonna Happy Birthday to you.

         Le soir même, avec Michel, nous testâmes sa solidité. Ce fut mon plus joli cadeau d’anniversaire.

 

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