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12 mars 2013 2 12 /03 /mars /2013 07:23

Chapitre 33

 Résumé des chapitre précédents : L’heure est aux explications. Et ces explications ont nom Boris.

 

         Nora, tout d'une traite, les yeux fermés pour mieux se souvenir :

         — C'est-une-séance-de-travail-fallait-pas-que-tu-viennes-on-n'est-pas-là-pour-s'amuser.

         — Et tu n'as pas insisté ? bondit Charlie. Tu ne l'as pas remis à sa place ?

         — T'es fou ? J'allais pas m'applatir devant ce con !

         — Il fallait m'avertir au lieu de te sauver comme une voleuse.

         — Quoi ? T'aurais voulu que je te tire par la manche : Papa au secours y a le monsieur qui m'embête ? J'aurais eu l'air de quoi, sans blague ?

         — Tu as donc si peu confiance en moi ?

         — Ce n'est pas une question de confiance, c'est une question de dignité. On me vire, je me tire, point barre. Tu imagines le malaise si j'étais rentrée de force ?

         — Là n'est pas le problème : si Boris ne voulait pas de toi, il ne m'avait pas non plus, c'est aussi simple que ça.

         — Tu aurais laissé passer la chance de ta vie ?

         Geste tendre, à peine esquissé mais si explicite.

         — TU es la chance de ma vie, ma louloute, fourre-toi bien ça dans le crâne.

         « OooOoOOoooh, mon roudoudou d'amour... Continue sur ce ton, s'il te plaît, je sens que je reprends du poil de la bête. » 

         — Déconne pas, proteste Nora pour la forme. Tu sais bien tout ce que Boris signifie pour toi, sur le plan professionnel. Alors, bon, normal que je m'efface.

         — Tu aurais vraiment été chez ta sœur, je dis pas. Mais te torcher la gueule dans des bars malfamés...

         — Il n'était pas malfamé, ce bar, qu'est-ce que tu crois ! J’y ai même rencontré un très gentil jeune homme. 

         — Tu t'es laissée embarquer par un type ?

         Elle rit, entre candeur et provoque, l'une et l'autre demeurant, chez elle, indissolubles.

         — Pourquoi t'es pas rentrée, plutôt que de traîner ? insiste Charlie.

         — Pas envie. J'ai à peine eu le courage de remonter la rue.

         — Fallait prendre la voiture.

         — C'est toi qui avais les clés.

         — Alors, un taxi.

         — Ben... c'est ce que j'ai fait, t'as pas remarqué ?

         Ils s'affrontent du regard. Elle, avec défi, lui, défiant.

         — T'as pas l'habitude, tu aurais pu tomber sur des violeurs, que sais-je ?

         — Oh, dis, j'ai pas cinq ans ! J'y ai vécu, à Paris, je te rappelle. J'en suis pas morte.

         Il n'est pas convaincu mais s'écrase. Et la couve des yeux. Cette bouche, quel chef-d'œuvre ! Il faut être taré pour fermer sa porte à une bouche pareille.

         —  Cet enculé de Boris va avoir de mes nouvelles !

                                                                                                                                      (A suivre)

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11 mars 2013 1 11 /03 /mars /2013 07:56

Chapitre 32

 Résumé des chapitre précédents : Charlie a récupéré Nora salement shlass, après sa soirée avec l’ange. Et elle a cafté, pour Boris. Mais bon, la croit-il ?

 

         Le lendemain, tard dans la matinée :

         — Tu fais quoi, Charlie ? (murmure à peine audible)

         — Je prépare du café.

         Nora en a bien besoin : une barre incandescente lui perfore le front, d'une tempe à l'autre. Sans compter la nuque raide et cette phénoménale envie de gerber.

         Il sort de la cuisine, une tasse à la main. L'aide à s'asseoir. Lui colle une pile de coussins derrière le dos.

         — Avale ça, c'est bon pour c'que t'as.

         L'âcre fumet la fait grimacer, moitié plaisir, moitié nausée.

         Une gorgée. Ça brûle. C'est agréable. Le mal au cœur s'estompe en lousdé. Allez, une deuxième, histoire de confirmer.

         — Tu veux que je te masse le front ? suggère Charlie. Il y a de la pommade au menthol sur l'étagère.

         Sans attendre un acquiescement gagné d'avance, il s'enduit les paumes de crème translucide, les applique sur les sourcils noirs et fournis, puis, par petites touches, son pouce remonte vers la racine des cheveux. Nora ronronne.

         — Bon, maintenant que ça va mieux, il serait peut-être temps qu'on cause, conclut-il, en s'essuyant les doigts sur son tee-shirt. T'as raconté des conneries, hier ?

         — À propos ?

         — De Boris. Il ne t'a pas virée, hein ?

         — Que si ! Et plutôt deux fois qu'une.

         — Mais... comment se fait-il que je ne me sois rendu compte de rien ?

         — T'étais déjà à l'intérieur, en train de saluer tes petits camarades.

         La nuance de rancune n'échappe pas à Charlie. Traduction : tu m'as larguée, moi, ta tienne, pour deux pékins sans intérêt. J'ai même cru un instant — mais j'ai vite révisé mon jugement, rassure-toi — que tu étais complice de mon rejet.

         Balayant d'un haussements d'épaules sous-entendus et arrières-pensées, Charlie exige :

         — Je veux du concret ! Répète-moi exactement les paroles de Boris.

                                                                                                                          (A suivre)

 

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10 mars 2013 7 10 /03 /mars /2013 06:26

Chapitre 31

Résumé des chapitres précédents : Aux petites heures, le taxi dépose Nora, en larmes et pétée, rue du Chevaleret.

 

         Charlie descend quatre à quatre, la récupère. Nora se laisse emmener sans rien dire. De toute manière, impossible de parler : sa gorge est H.S. pour cause d'inondation.

         Il la prend dans ses bras, la fourre dans le hamac. La balance. Entre les branches des palmiers, elle voit le ciel tavelé d'étoiles et la lune, parfaitement circulaire, d'un bel orange mordoré. Il est bientôt quatre heures, l'horizon ne tardera pas à blanchir, derrière les Mercuriales.

         — Nora, appelle doucement Charlie.

         Le pont de Tolbiac, éclairé, c'est féerique.

         — Nora, tu dors ?

         En revanche, les palmiers choquent. Rue de Paris par une nuit tropicale.  Ri-di-cule. Quoique... Les Américains n'ont-ils pas reproduit Big Ben en Californie ? À moins que ce ne soit l'Atomium, ou la petite sirène de Copenhague. Tout est possible, de nos jours. Alors, bon, rue de Paris sous les Tropiques, c'est pas plus naze qu'autre chose. 

         Charlie lui caresse le visage.

         — Que s'est-il passé, ma puce ?

         Elle tourne la tête vers lui et, le plus distinctement possible, articule :

         — Boris m'a flanquée à la porte.

         Il bondit.

         — Tu te fous de moi ?

         Point du tout. C'est la vérité vraie. Il lui a dit, grosso-modo, tu nous fais chier, on est pas là pour rigoler, barre-toi avant que je me fâche et va te faire pendre ailleurs.

         — Grosso-modo, hein. Je me souviens plus des termes exacts.

         — Mais c'est impossible, voyons ! Tu as dû mal comprendre, nous faire une parano.

         — Croix de bois croix de fer. Alors je me suis cassée et j'ai échoué dans un troquet où j'ai bu des demis.

         — Avec ton traitement ? Bravo, on voit le résultat...

         — C'était ça ou me jeter sous le métro.

         — Arrête, tu me bousilles, là !

         —  Chacun son tour.

         Charlie se mord les lèvres. Inutile d'essayer de la raisonner dans cet état. Demain, il tirera cette affaire au clair, mais d'abord, le plus urgent. Laisse-toi faire, ma douce.

         Sous sa lèvre, elle s'apaise.

         Dehors point l'aurore. Déjà, le ciel s'ensanglante et les voies, braises, tisons, commencent à rougeoyer. Dans un fracas de ferraille, les premiers trains s'ébranlent.

         — Oui, souffle Nora, tendue vers l'avant.

         En elle aussi, le soleil se lève.

                                                                                                                                 (A suivre)

 

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9 mars 2013 6 09 /03 /mars /2013 06:56

Chapitre 30

  Résumé des chapitres précédents : Pas très sympa, la compagne de l’ange. Une impératrice de la nuit, certes, mais côté humain, pardon !

 

         — Houlà, la terre tourne, titube Nora.

         Sylvain se précipite pour la prendre sous son aile.

         — Ça ira ?

         — Arrête de jouer les chiens d'aveugle, aboie Lulu.

         La rue. Taxi ! Nora s'installe.

         — Vous ne montez pas ?

         — Non, on crèche à deux pas.

         La portière claque.

         — Rue du Chevaleret, dans le XIIIème.

         Le couple s'éloigne en direction de la Seine. La créature, vannée, claudique (« presque autant que moi », rigole intérieurement Nora), soutenue sous l'aisselle par son prince consort.

          Lui, au moins, il assure. Pas comme toi, pauvre cloche. Toi, tu désertes, tu décanille. Charlie prend son essort, et pas le moindre petit coup de pouce.

         « Un jour viendra où, juré-craché, je le hisserai vers les plus hautes cîmes ! » se glavanise Nora, sans situer précisément, les cîmes en question — mais est-ce bien nécessaire, surtout à cette heure?     

        «  Faut pas que je m'endorme », se dit-elle encore. Et sa tête retombe.

         Boulevard Vincent -Auriol :

         — Quel numéro ? demande le chauffeur.

         Nora s'ébroue. À côté d'elle, Lulu tentait en vain de déployer ses ailes de chauve-souris, puis y renonçait, par manque de place. « On aurait dû venir en bus », se morfondait l'ange.

         — Au 103. À la hauteur du pont de Tolbiac.

         Sur la façade, une fenêtre éclairée, une seule. Au cinquième. Charlie doit se faire un sang d'encre.

         «  Tant mieux, se réjouit Nora. Si je n'avais pas aussi sommeil, j'aurais passé la nuit dehors. »

         La fenêtre éclairée s'ouvre, une silhouette se penche. Charlie a entendu le bruit du moteur.

         — Nora ! crie-t-il, tandis qu'elle s'extirpe du véhicule.

         Alors, comme une petite fille en faute, elle fond en larmes sur le trottoir tandis que le taxi redémarre.

                                                                                                                 (A suivre)

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8 mars 2013 5 08 /03 /mars /2013 07:12

Chapitre 29

 Résumé des chapitres précédent : De banalités en discussions creuses, la soirée avec l’ange se tire gentiment.

 

         Nora lève les yeux vers l'horloge murale, sursaute. Trois heures moins dix. C'est un gag ? 

         — J'ai pas vu passer le temps, s'effare-t-elle, tu me paies ma conso ? Y a plus de métro et j'aurai pas assez pour un taxi.

         — Tu vas loin ?

         — Dans le XIIIème.

         — Autour des neuf euros.

         — J'en ai juste dix.

         — OK, je t'invite.

         Au même instant, la porte s'ouvre et quelqu'un entre. Une tornade noire. Le visage de Sylvain s'illumine de l'intérieur.

         — Chérie ! Je ne t'attendais pas si tôt.

         — J'ai largué le dernier client. Ras la moule.

         Elle est longiligne, splendide et terrifiante. Chevelure cobalt, ciré, cuissardes luisantes. Une impératrice de la nuit resplendissante de peur et de plaisir, d'inavouables émotions.

         Elle toise Nora qui rétrécit à mesure, et d'une lèvre violine en accent circonflexe, lâche :

         — C'est quoi, ça ?

         «  Ça » se ratatine encore davantage. Jusqu'à se fondre dans le néant.

         — Nora, une copine, présente l'ange. Lulu, ma compagne.

         — Bonsoir, ose Nora.

         — T'as pas trop mal aux pieds, chérie ? s'empresse l'ange.         

         Vu la hauteur de ses talons, la chose n'aurait rien de surprenant. Danser le Flamenco perchée là-dessus, franchement, faut l’faire !

         La créature bâille, s'étire, se masse un mollet à travers le cuir moulant.

         — Crevée, dit-elle. On rentre.

         Voilà une bonne parole ! Nora se lève en titubant.

         — Houlà, la terre tourne !

                                                                                                                            (A suivre)

 

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7 mars 2013 4 07 /03 /mars /2013 08:06

Chapitre 28

Résumé des chapitres précédents : La soirée s’éternise toujours. C’est long, toutes ces heures loin de  Charlie ! D’autant que, sans vouloir critiquer, la conversation de l’ange n’est pas très passionnante.

 

         — Quand je vois la vie de cons qu’on mène ici, c’est toi qui as raison, ma grande !

         Nora se méfie. Ils prétendent tous ça — sa frangine, ses parents, ses anciens amis —, mais ce sont juste des chichis. Dénigrer sa condition tout en s'y cramponnant façon morbaque procède d'un snobisme typiquement citadin. 

         — Moi, si je devais vivre à Paris, énonce-t-elle, sentencieuse, il n'y a qu'un seul endroit qui me conviendrait. Mais même avec un salaire de ministre, je ne pourrais pas me le payer.

         — Ah ? Laisse-moi deviner... Dans le Marais ?

         Elle secoue la tête.

         — Sur les Champs-Élysées ?

         Elle secoue la tête.

         — À Notre-Dame ? À l'hôtel de ville ? Au Panthéon ?

         Elle secoue de plus en plus la tête, ce qui fait tanguer doucettement sa chevelure.

         — Pas au sommet de la Tour Eiffel, tout de même ?

         Elle pouffe dans sa bière.

         — Tu n'y es pas du tout. Dans la grande serre du jardin des Plantes.

         — Pour une fleur des champs, c'est assez ambitieux !

         — Non, thérapeuthique.

         Leurs deux rires s'accordent — le sien, à lui, un peu largué.

         —  J'ai du mal à te suivre, là...

         Elle a un geste signifiant : laisse tomber, puis lâche, à brûle-pourpoint :

         — Ça te dirait d'être ange exterminateur ?

         Sylvain lève un sourcil d'une blondeur irréelle.

         — Ange, je veux bien, mais pourquoi exterminateur ?

         — Pour me rendre un petit service.

         — Tu veux assassiner quelqu'un ?

         — Voui.

         — Qui ça ?

         — Samy Frey.

         Ils se tordent.

         — Fais pas attention, renifle-t-elle, j'suis faite.

         — Il ne t'en faut pas beaucoup, dis donc. Deux bières !

         — Trois.

         — Y en a une qu'a fini par terre.

         — Alors, deux et demi.

         — Deux demis et demi (rire)

         — C'est parce que j'ai pas l'habitude, plaide Nora. Nous, les ploucs, on est sains. On respire le grand air et on se pinte au lait de vache. Du coup, on n'assure pas.

         — Mouais... Tu n'aurais pas dû picoler, finalement.

         — T'es gonflé ! C'est toi qui m'as poussée, je te signale.

         — Je pouvais pas deviner que t'étais une nymphe des bois.

         Après les fleurs, la nymphe. L'ange a la muflée bucolique. Ça va être quoi, dans une heure ? Vénus sortant de la Kronembourg ?

                                                                                                                            (A suivre)

 

        

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6 mars 2013 3 06 /03 /mars /2013 07:31

Chapitre 27

Résumé des chapitres précédents : La soirée dans le troquet s’éternise (normal, en compagnie d’un ange). Heureusement que John Lennon passe sur le juke-box !

         D’un claquement de doigts, Sylvain hèle le garçon.

         — Tu reprends quelque chose ?

         — Une autre bière. Et un café.

         — Alors, deux.

         S'il faut tenir jusqu'à trois heures, un placebo s'impose. Pour Nora, qui d'ordinaire se couche avec les poules et se lève aux aurores, les nuits blanches sont une performance — ou un acte d'autopunition.

         — T'es pas parisienne, toi ? soupçonne Sylvain.

         — Ça se voit tant que ça ?

         Il hoche la tête en souriant.

         — J'habite Auxerre, enfin, un petit bled à côté.

         — T'es une fleur des champs, alors ?

         N'importe quoi. Il serait pas un peu chlass, lui aussi ?

         — Non, glousse-t-elle, une plouc, tout simplement.

         — Et t'y fais quoi, dans ta campagne ? Tu cultives des chêvres?

         — Des tomates et des radis. Comme bêtes, je n'ai qu'un chat et un poney.

         — Un poney ! Que c'est curieux ! Pour la traite ou pour la fourrure ?

         Nora lève un sourcil. L'interrogatoire vire au foutage de gueule.

         — Il promène les gosses du village. Deux euros le tour.

         — T’es foraine, quoi !

         — En quelque sorte.

         — Raconte, c'est passionnant.

         — Y a rien à raconter. On donne des petits spectacles aux mariages, aux communions, tout ça, et, entre les coups, le poney trimbale les mioches.

         — Tu fais ça seule ?

         — Non, avec un copain.

         Elle n'a pas dit mon mari. Elle ne l'a pas dit. Pour l'heure, elle le renie : il est la propriété de Boris.

         — Et ça marche ?

         — Couci-couça, suffisamment pour vivre. Et puis, on se marre bien.

         — Tu m'étonnes ! Quand je vois la vie de cons qu'on mène ici, dans notre deux-pièces-cuisine, avec le métro pour seul horizon...

          (A suivre)

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5 mars 2013 2 05 /03 /mars /2013 07:41

Chapitre 26

  Résumé des chapitres précédents : Quand on discute devant une bière, au beau milieu de la nuit, on en arrive aux confidences, forcément. Surtout avec un ange !

 

         — Vous avez envie de me raconter vos malheurs ?

         Nora secoue de la tête. C'est une pudique. Elle cache sa souffrance comme un sexe.         

          « J'ai jamais exhibé mes plaies intimes, moi — sauf à Charlie mais ça ne compte pas. Bon, d'accord, tout à l'heure, j'ai failli craquer. Pour un peu, je me dénudais l'âme. Mais c'est fini, je me suis ressaisie. Ma ceinture de chasteté est à nouveau bouclée. »

         — Non, non, confirme-t-elle.  

         L’ange n'insiste pas. Il n'a pas de curiosité déplacée, juste une grande, très grande complaisance, et de la disponibilité à revendre. Un coup vient de sonner au clocher de Notre-Dame, et à ces heures indues, le temps s'éternise.

         — Moi, c'est Nora, dit Nora, pour changer de sujet. Et vous pouvez me tutoyer, si vous voulez.

         Ils se serrent la main par-dessus la table.

         — Sylvain.

         «  Tiens ? pense Nora, je croyais que tous les noms d'anges se terminaient par el : Michel, Daniel, Gabriel, Raphaël, Averell... non, pas Averell, lui, c'est un Dalton. »  

         — Nul, ce troquet, remarque-t-elle. Il sent mauvais.

         — Tout est fermé, dans le coin, après minuit.

         Elle ricane : «  Dernier saloon avant le désert », puis se demande pourquoi elle a dit ça — par association d'idées, sans doute (avec Averell) — et une soif prémonitoire lui vient.

         — À la tienne, old boy. 

         Quelqu'un a allumé le juke-box, un Wurlitzer d'avant l'électronique, une vraie pièce de musée.

         — Yesterday ! s'extasie Nora.

         Ils écoutent jusqu'au bout, sans un mot. Puis la chanson s'arrête, remplacée par une autre.

         — Mince, Imagine !

         Va-t-on causer Beatles ? Ça meuble et ça fait chic.

                                                                                                                          (A suivre)

 

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4 mars 2013 1 04 /03 /mars /2013 06:51

Chapitre 25

 Résumé des chapitres précédents : Dans le troquet où elle se laissait sombrer, Nora a trouvé un ange pour lui faire la conversation. C’est bien réconfortant.

 

         Court silence. Chacun plonge dans sa chope. Nora, mise en confiance, glisse moralement sa main dans celle de l'ange.

         — Lulu joue tous les soirs ? compatit-elle.

         Il hoche la tête.

         — En général, elle termine vers une heure et demie, mais il lui arrive de faire des heures sup'. C'est bien payé.

         — Dur-dur, comme rythme, pour un couple, non ? Elle n'a jamais envisagé de changer de boulot ? Pour vous deux, je veux dire.

         — Jamais de la vie ! Lulu, les planches, le public, les applaudissements, c'est sa vie. Sa vocation, plutôt. Et une vocation, ça ne se contrarie pas !

         Nora se cramponne à la main céleste. Cette main est de bon conseil. L'ange a su trouver les mots qu'elle attendait : une vocation, ça ne se contrarie pas. Devant une vocation, on s'incline, on s'efface. Vas-y, Charlie, fonce ! Ne tiens pas compte de moi. Je n'ai pour fonction que de t'admirer, et d'empêcher les foules de t'étouffer par excès de zèle. Prince consort, ça se dit comment au féminin ? 

         — Et vous n'êtes pas jaloux ? risque-t-elle.

         — Jaloux ?

         — Ben oui, de sa vocation.

         Dans l'œil, l’ange a des lueurs rigolotes.

         — Atrocement.

         Nora avale une gorgée de bière, puis une seconde, coup sur coup. Ça va mieux. Correspondance spirituelle des vers-de-terre-amoureux-des-étoiles.

         — Pas facile à assumer, un génie, hein ! conclut-elle.

         — Vous avez envie de me raconter vos malheurs ? traduit l'ange avec obligeance.

                                                                                                                                            (A suivre)

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3 mars 2013 7 03 /03 /mars /2013 05:39

Chapitre 24

 Résumé des chapitres précédents : dans le gouffre de détresse où se noyait Nora, une main s’est tendue. Celle d’un ange – ou, du moins, ce qu’elle perçoit comme tel.

 

         — J'attends mon amie qui termine son travail à trois heures, poursuit l'ange. Si vous voulez, je peux vous tenir compagnie.

         Ce n'est pas de refus. Mourir à petits feux, c'est moins pénible à deux. Un brin de causette adoucit l'agonie.

         — Elle fait quoi, votre amie ? se renseigne Nora, par pure courtoisie.

         — Artiste.

         — Dans quelle branche ?

         — La danse.

         — Elle passe où ? Au Châtelet ?

         Il rit.

         — Tout de même pas... Le Sexe Pire, vous connaissez ?

         — Le Shakespaere ? Non, c'est où ?

         — À côté, rue Saint-Denis.

         — Vous êtes son imprésario ?

         Re-rire. Très gentil.

         — Quelle idée ! Non, je ne suis que prince consort.

         — C’est à dire ?

         — Que je me contente de l'admirer béatement en me faisant petit petit, et d'empêcher ses admirateurs de l'étouffer.

         Telle la bienheureuse en proie à une vision, Nora joint les mains. Miracle des similitudes, elle n'est plus seule à s'étioler dans l'ombre. Un frère, un semblable, l'a rejointe. Un retranché. Un prince consort. Un ange gardien.

         — Elle est si célèbre que ça, la vôtre ? s'écrie-t-elle.

         — Une bonne petite notoriété, dans son milieu.

         — Je la connais ?

         — Franchement, ça m'étonnerait. Lulu Martinet.

         Moue dubitative.

         — Lulu Martinez... Lulu Martinez... Non, ça ne me dit rien. C'est une Espagnole ? J’adore le flamenco.

         Lui, gravement mais le regard au bord du fou rire :

         — Oh, son répertoire est assez varié.

         — Je ne suis pas très calée en danse, surtout folklorique. Moi, mon domaine, ce serait plutôt le one man show d'humour, voyez ?

         — Ce n'est pas tout à fait le même registre.

                                                                                                                  (A suivre)

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